Baccalauréat 2002 : premiers bilans

Nouvelle Revue Pédagogique - Lycée, n°2, novembre 2002

Par Corinne Abensour


Épreuve de vérité pour la réforme des lycées lancée en 1999, le Bac 2002 était attendu avec une certaine inquiétude. À l’approche de la première session de l’épreuve de français rénovée, certains enseignants de lettres avaient même manifesté leur hostilité face aux nouvelles modalités de l’examen. Or à bien des égards, les conditions dans lesquelles se sont déroulées les épreuves ont donné raison aux plus pessimistes. Recueillis à chaud juste après le Bac auprès d’examinateurs épuisés par deux semaines d’un véritable marathon, les témoignages qui sont à la source de cet article ne prétendent toutefois pas à une totale objectivité, d’autant que nous nous sommes limités aux séries S et ES.

 

Atermoiements et craintes anticipées

Parce que la réforme des lycées a été fortement contestée et que le premier Bac de français est la dernière étape de sa mise en place, de nombreuses critiques ont précédé la première session de l’examen.

Ces critiques ont porté sur le sujet d’invention à l’écrit qui, dans son principe même, a été très controversé. Décrit comme un sujet piège, qui apparaissait à certains enseignants comme " se dérobant à tout apprentissage construit " (1), il semblait par ailleurs, aux yeux d’autres collègues, peu démocratique dans la mesure où il requiert une excellente culture générale.

L’oral de l’épreuve de français a également suscité de nombreuses critiques, sans doute renforcées par les atermoiements du ministère. En avril 2001, en effet, les premières dispositions de l’examen prévoient que l’examinateur interroge l’élève sur un texte ne figurant pas sur une liste d’extraits étudiés en classe. Les protestations sont immédiates car une telle procédure pénalise les élèves sérieux et risque de s’avérer très aléatoire.

L’oral du bac, tel qu’il s’est dérouté à la fin du mois de juin dernier, est donc le résultat d’un compromis. Mais on peut constater que le ministère n’avait pas prévu toutes les conséquences du nouveau dispositif.

 

L’écrit du bac : les écueils du sujet d’invention

L’écrit du bac, qui était pourtant ces derniers mois au cœur de la controverse, semble s’être déroulé sans trop de difficultés. Les sujets ont suscité certaines critiques sur lesquelles nous reviendrons. Mais ce que signalent surtout les examinateurs c’est le caractère excessif de la charge de copies. Une des enseignantes interrogées en a ainsi reçu 160. C’est sans doute là une exception. Et la plupart des examinateurs ne se sont pas vus confier plus de copies que les années précédentes (entre 60 et 100 en moyenne). Mais le marathon de l’oral (voir page 6) a interféré avec le temps de correction, contraignant beaucoup d’enseignants à travailler le week-end et même parfois la nuit pour arriver à rendre leurs copies dans les délais. Une équipe de correcteurs a ainsi calculé que le temps cumulé passé aux corrections, à la préparation des oraux et aux oraux effectifs pendant la quinzaine de l’examen avait été de plus de cent heures par examinateur en moyenne.

0utre des critiques quant au déroulement des corrections, les enseignants interrogés ont aussi émis des réserves sur les sujets eux-mêmes. Beaucoup ont été surpris de constater que le corpus proposé (voir encadré) ne comportait pas de documents iconographiques, à la différence de ce que prévoyaient les annales zéro.

Des critiques ont également porté sur la question d’observation, posée de façon telle qu’elle n’incitait pas les élèves à la concision. Quant aux trois sujets, ils ont suscité de nombreuses observations. Le commentaire et la dissertation ont souvent amené les élèves à ne proposer qu’un catalogue de procédés. À l’inverse, certains enseignants fustigent la paraphrase dans le commentaire du texte de Voltaire qui, dans des centres d’examen accueillant des élèves plus faibles, a donné lieu à des copies indigentes. Mais ce que signalent plusieurs enseignants, à la lecture des commentaires et des dissertations, c’est l’apparition des premiers " effets pervers " d’une réforme qui privilégie les approches génériques et efface dans les faits l’histoire littéraire, pourtant présente en apparence. La confusion qui en découle est, d’après ces enseignants, visible dans les copies corrigées cette année.

Quant au sujet d’invention qui a attiré dans certains centres d’examen la quasi-totalité des élèves, il n’a pas failli à sa réputation de sujet piège. Les examinateurs qui corrigeaient les copies des meilleurs lycées ont signalé d’excellentes copies (souvent trop longues toutefois). Mais les élèves en difficulté qui ont cru aller à la facilité en choisissant ce sujet ont souvent produit des textes aberrants, souvent très difficiles à évaluer. Parfois, la situation proposée n’était pas comprise, jusqu’au lien de parenté entre Priam et Andromaque qui a donné lieu à des contresens dans certaines copies.

Un dangereux sentiment de liberté face au sujet le plus contraignant a amené les élèves à des considérations souvent totalement hors contexte, anachroniques, témoignant de l’absence de références culturelles. Par ailleurs, plusieurs enseignants regrettent la part excessive de l’implicite dans un sujet qui serait plus facile à traiter pour les élèves si les consignes étaient plus explicites. Ainsi, certains enseignants souhaiteraient que soient communiquées aux élèves des indications du type de celles figurant dans le guide d’évaluation (voir encadré).

 

L’oral du bac : le marathon des examinateurs

Les critiques portant sur l’écrit, qui sont très importantes parce qu’elles touchent à des problèmes de fond, n’ont pourtant pas l’acuité de celles concernant l’oral. Car pour l’épreuve orale ce sont les conditions matérielles de l’examen qui étaient en cause, rendant les conditions de travail des examinateurs très difficiles.

Il était prévu que les enseignants n’interrogent pas sur plus de trois ou quatre descriptifs différents or, dans certains cas, les examinateurs ont travaillé sur sept ou huit listes, une enseignante a même reçu treize descriptifs différents. L’obligation de poser une question sur le texte a entraîné en moyenne, d’après ce que nous ont communiqué les enseignants interrogés, plus de vingt heures de préparation individuelle. Les descriptifs n’étaient en effet le plus souvent pas accompagnés de la photocopie des textes, et les références n’étaient pas toujours très précises.

Par ailleurs, tous les collègues soulignent les difficultés rencontrées par les élèves face à cette nouvelle épreuve et le " casse-tête " pour les examinateurs. À écouter les collègues, on se rend aussi compte de la disparité des conditions d’examen. Car il y a eu ceux qui ont posé à tous les mêmes questions sur l’intérêt littéraire du texte, ceux qui ont posé des questions très limitatives et ont dû relancer les élèves, ceux qui ont posé des questions très générales et ont dû reformuler, ceux qui ont accepté les explications de textes de l’ancienne formule du bac à condition qu’il soit répondu à la question en conclusion et ceux qui, à l’inverse, ont sanctionné lourdement cette façon de faire.

Quelle que soit la démarche adoptée, les enseignants ont souligné que les élèves n’avaient pas pu être suffisamment préparés pendant l’année à cette façon d’aborder l’oral, et encore moins pour la seconde question qui nécessitait un temps de réflexion et de synthèse face à des listes de textes surabondants où voisinent des textes expliqués et des lectures complémentaires.

Au terme de ce premier bac de la réforme, beaucoup d’enseignants, qui ont adressé à l’inspection un bilan critique des nouvelles modalités de l’examen, attendent des aménagements pour 2003. Ils en espèrent un allégement de leur charge de travail et une harmonisation des procédures afin que tous les élèves passent bien le même examen.

 

Consignes d’évaluation du sujet d’invention

Le libellé impose le respect d’un certain nombre de contraintes - l’écriture d’un dialogue théâtral,

- la présence de trois personnages (Hector, Priam, Andromaque) et leur prise de parole,

- le respect de leurs liens affectifs et de leur position par rapport à la guerre,

- une argumentation contre la guerre proférée par un homme.

On valorisera les copies qui explicitement ou implicitement utiliseront des arguments ou des exemples empruntés à un ou à des textes du corpus.

On appréciera les copies qui réutilisent une partie des arguments ou des paroles d’Andromaque : ce choix manifestera le souci de l’époux pour soutenir la thèse d’Andromaque ou la stratégie du fils qui fait bloc avec son épouse pour s’opposer au père.

La présence de didascalies portant sur des indications scéniques n’est pas exigée par le libellé. On valorisera cependant les copies qui auront pensé à signaler des gestes en accord avec la situation d’énonciation - rapprochement du couple, prière au père… On attend des candidats qu’ils élaborent un échange et une forme de construction dramatique de la scène. succession de courtes tirades et d’interruptions plus brèves par exemple. On pénalisera l’écriture de " scènes " dans lesquelles le discours d’Hector serait ponctuellement coupé d’exclamations de l’un ou de l’autre des autres personnages.

1. Appréciation portée par le collectif Sauver les lettres, citée dans Le Monde du 7 juin 2002.

Nouvelle Revue Pédagogique - Lycée/ n°2/  novembre 2002