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NON A LA MAL'EDUCATION
Une éducation totalitaire.

Le journal "Le Monde" a ouvert ses colonnes des 4, 9 et 16 mars à un débat qui concerne directement les professeurs de Lettres du secondaire que nous sommes. Il oppose de nombreux écrivains et intellectuels de renom aux instigateurs et zélateurs de la réforme, sans doute peu nombreux puisque ce furent les mêmes qui reprirent la parole le 16 mars. Il y a de la tartufferie, de la part de ceux qui ont la difficile charge, pour le compte du Ministère, d' "assassiner" l'enseignement des Lettres, à prétendre que les textes officiels n'ont pas été lus. Nous ne les avons que trop lus. Ceux-là déplorent la médiatisation du débat : comptaient-ils faire passer leurs réformes dans le secret des salons de la rue de Grenelle ? Cette médiatisation est pour nous opportune, car à aucun moment nos inspecteurs n'ont daigné nous répondre lorsque nous leur avons fait part de nos inquiétudes. Parce que, grâce à leur intervention aussi imprévue que peu désirée, les citoyens ont réussi à faire fléchir le gouvernement sur des sujets aussi préoccupants que l'AMI ou la mal'bouffe, nous ne laisserons pas nos décideurs agir dans l'ombre.

Les nouveaux programmes de français de seconde sont bel et bien redoutables, en cela qu'ils appauvrissent le contenu de notre discipline et qu'ils imposent aux enseignants des mots d'ordre contraignants. Il nous resterait 20% de liberté, nous dit-on - comme si la liberté se quantifiait. Ne nous laissons pas abuser par la langue de bois, quasi religieuse, des discours technocratiques… Mais donnons la parole à nos décideurs.

Anne Armand, IPR-IA, affirme que la dissertation et le commentaire composé seront l'objet "d'évaluations moins fréquentes". Viala, président du Groupe Technique Disciplinaire de Lettres, préfère réserver ces exercices aux élèves de la filière "lettres" qui auront pris l'option "littérature". Bref laissons ces joujoux surannés aux futurs hypokhâgneux qui eux-mêmes deviendront des professeurs de lettres ! Laissons les intellectuels marmonner entre eux ! Ne permettons pas aux autres lycéens d'avoir accès à la pensée critique… Certains allaient même jusqu'à tirer leur revolver quand ils entendaient le mot "culture". Mais heureusement la culture est elle aussi une arme qu'on n'abat pas si facilement.

A la place ou en sus des exercices de réflexion sont introduits au lycée les exercices d'imagination du collège. Les élèves prendront ainsi plaisir à faire du français, dixit à nouveau Viala, qui semble ignorer lui-même les plaisirs de la pensée! On veut assurer une continuité plus nette entre le collège et le lycée. Parfait. Mais alors qu'on nous fait croire que la modification de l'épreuve du brevet des collèges permet à l'enseignement en collège de s'aligner sur celui en lycée, c'est en réalité l'inverse qui est programmé : "Préparant leurs élèves au brevet, les profs les prépareront du même coup […], avec des formes d'écriture proches de l'écriture créative, aux programmes du lycée."(Katherine Weinland, IG) Et que feront les élèves qui à la sortie de leur troisième sont censés maîtriser ces exercices ? Quel manque d'ambition dans ces programmes ! De la même manière, est demandé aux enseignants de seconde de repartir dans l'apprentissage des bases de la langue. Tant pis pour ceux qui les ont acquises ! Tel est l'aveu d'échec d'une politique de massification, dont on voudrait faire porter la responsabilité sur les enseignants… Enfin Viala précise qu'un sondage d'il y a quelques années ainsi qu'une thèse publiée il y a quelques mois avancent que 60% des lycéens écrivent déjà, chiffre dont il faudrait tirer parti. Non! Les pédagogues, "amis des jeunes", n'ont pas à s'immiscer dans l'écriture privée des adolescents. L'Ecole n'a pas à calibrer les poètes de demain. Mais ces adolescents ont besoin de nous, enseignants, pour penser et exercer leur pensée critique. Dissertation et commentaire littéraire ont marqué la victoire des Lumières sur l'Eglise dans l'enseignement des Lettres. La première parce qu'elle obligeait à mettre en pratique le doute avant l'affirmation, ou le refus, d'une opinion ; le deuxième parce qu'il appliquait aux textes littéraires non la déférence pour les maîtres, mais la méthode expérimentale. Pour finir, le ministre souligne qu' "en français (…) on a introduit dès cette année une série de cours pratiques sur le thème : comment écrire une lettre, comment faire un rapport. Cela se poursuivra en première." Sont donc introduits des exercices d'écriture fonctionnels. Est-on sûr que ce soit là le rôle du professeur de lettres ? La littérature est sacrifiée sur l'autel de la communication.

Le nouveau programme de seconde parle en outre de multiplier le nombre d'œuvres à lire dans l'année : au moins 6. Où est la nouveauté? Il faut par ailleurs s'ouvrir à d'autres types de littérature. Ainsi Viala met-il sur le même plan Les Confessions de J.J.Rousseau et Annie Ernaux! La seconde se consacrera à l'étude de la deuxième moitié du XIXème et à celle du XXème siècle. Quelle démobilisation par rapport aux programmes précédents! Enfin les élèves devront lire un roman de la rentrée littéraire. S'agit-il de faire le jeu des éditeurs ? Nos membres du GTD savent-ils qu'un tel livre coûte au moins 100F ? Sont-ils sûrs que ces romans, de qualité inégale, soient ceux qui conviennent le mieux à nos adolescents ?

Dernière nouveauté à la mode de ces programmes : étudier la "processualité" (Denis Bertrand, GTD) des textes littéraires, c'est-à-dire voir comment ceux-ci adviennent et ce qu'ils deviennent ; étudier notamment les processus de consécration de l'œuvre d'art, tel que le rôle de l'école, en comparant des pages de manuels scolaires. Cela serait certainement passionnant comme certificat de licence, mais au lycée il y a des affaires plus urgentes à traiter. Le lobby de la socio-critique, dont Viala est un représentant, impose ses diktats jusque dans les programmes du lycée ! En même temps que les Instructions Officielles suppriment les exercices de réflexion qui font la qualité de l'enseignement français, elles introduisent les derniers gadgets à la mode. Espérons que ces études de haute "scientificité" aideront nos élèves à mieux raconter leurs vacances au bac de français!

Enfin on nous stipule que le bac ne doit plus piloter l'enseignement. Mais au nom de quoi un tel credo, une telle profession de foi ? Viala dit qu'il s'agit d'une "faute didactique". Bientôt on jettera l'anathème sur les enseignants qui ont encore des exigences intellectuelles avec leurs élèves. L'insupportable contradiction de ces programmes est qu'ils multiplient les activités en même temps que les horaires diminuent. Nos inspecteurs anticipent en ajoutant qu'il faudra aller vite sur les textes! Les pouvoirs ont en réalité décidé de créer un problème, une impossibilité de traiter efficacement les programmes, de telle sorte que les professeurs seront accusés de ne pas remplir leur contrat. Dès lors le moment sera venu pour consacrer la suppression officielle des exercices qui réclament des efforts : la dissertation et le commentaire de texte. Ou bien la porte sera ouverte vers un enseignement à deux vitesses : les travaux formateurs dans les meilleurs établissements, les exercices de communication dans les autres.

"Doctrine officielle, le pédagogisme issu des sciences de l'éducation est une idéologie anti-intellectuelle qui organise une destruction massive des intelligences en évidant le sens et le contenu et en substituant les compétences aux savoirs"(Robert Redeker). Même leur chef de file, Philippe Meirieu, dans un entretien publié il y a quatre mois dans un hebdomadaire français, avoue s'être trompé. Mais les pédagogues ont en trente ans noyauté l'Education Nationale, contribuant à sa déliquescence.

Pour conclure, ce n'est pas seulement la littérature qu'on assassine, telle qu'elle a déjà été assassinée aux Capes de langue, mais la plupart des disciplines : on n'exige plus du collégien qu'il sache écrire correctement ni qu'il maîtrise le fonctionnement de la langue : la dictée est réduite au brevet des collèges et le mot même de " dictée " disparaît des Instructions Officielles de Troisième. Nous refusons que nos enfants dépendent passivement des correcteurs informatiques d'orthographe - de même qu'en mathématiques on veut les réduire à de simples opérateurs de calculatrice et de CD-Rom. De plus, il y a longtemps qu'on nous demande de ne plus enseigner la grammaire à nos élèves, en tant que réflexion sur le fonctionnement de notre langue. D'ailleurs celle-ci est désormais bannie des cours de langue vivante. On nous demande à la place depuis plusieurs années, pour satisfaire notamment les caprices de quelques pédagogues influents auprès du ministre, d'enseigner la "grammaire de texte ", qui n'est qu'un effet de mode et un pur gadget qui masque le décervelage programmé de nos enfants.

Le latin est arbitrairement supprimé du brevet des collèges ; au lycée sont amputés et dénaturés les programmes de mathématiques ; ceux d'histoire-géographie réduits à "quelques flashes" selon un mot du ministre qui n'est pas une "rumeur" - tout cela au profit de mesures démagogiques telles que l'introduction de "Travaux Personnels Encadrés", dont on se demande quelle peut bien être la légitimité quand on sait que leurs auteurs pourraient être les professeurs, les parents, voire des officines privées! Enfin tandis qu'on dévalorise les concours de recrutement des enseignants, on maintient à l'école primaire les méthodes d'apprentissage de la lecture qui fabriquent 40% d'illettrés selon l'OCDE (10% selon le ministère!).

Parents d'élèves, vous avez de nombreuses raisons d'être inquiets. Les réformes en cours dépossèderont vos enfants de leur droit inaliénable d'élaborer une pensée autonome. Professeurs, nous avons de nombreuses raisons d'être inquiets. Les réformes en cours détruiront notre culture, notre indépendance et notre singularité. Tel est le point de départ de tous les totalitarismes… Hannah Arendt a aussi écrit, faut-il le rappeler, que la société de masse, condition nécessaire à tout projet totalitaire, a paradoxalement besoin du développement de l'instruction générale, "avec l'inévitable abaissement du niveau et la vulgarisation du contenu qu'il implique".

Christophe Le Gall et Christophe Billon, professeurs de lettres modernes, du collectif "Sauver les lettres"
Pour télécharger ce texte : maleduca.rtf

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