Le niveau de français des salariés est en baisse.

Les Échos du 20/03/06


Des fautes d'orthographe aux erreurs d'expression orale, le phénomène n'est pas sans conséquences sur la carrière des salariés et sur l'image des entreprises.

C'est Molière qu'on assassine. Fautes d'orthographe, erreurs de syntaxe, verbes mal conjugués, style trop lourd, incohérence des phrases... En entreprise, la pratique quotidienne de la langue française ressemble souvent à un bricolage mal assuré. " Le niveau d'expression, écrit ou oral, est réellement catastrophique. Cela est vraiment inquiétant ", s'exclame Wilhelm Laligant, directeur général d'Advances Executive, cabinet de conseil spécialisé en recrutement. Les recruteurs, comme les DRH, l'affirment : il devient rare de trouver des salariés maîtrisant avec aisance et élégance le français. Tandis que l'expression orale est jugée très limitée, l'écrit reste le principal sujet de préoccupation.


Bernard Fripiat, coach d'orthographe et auteur d'un livre à succès sur le thème, brosse un portrait des erreurs les plus courantes. " Les conjugaisons ne sont pas maîtrisées. Les accords de genre sont oubliés. Quant aux participes passés, soit les gens ne savent pas ce que c'est, soit ils l'accordent au hasard ", relève-t-il. Un tableau quelque peu inquiétant, d'autant que ces déficiences concernent l'ensemble des salariés. " J'ai des lettres de candidature venant de diplômés d'HEC qui contiennent une faute toutes les deux lignes. Et, parmi les patrons, on peut aussi avoir des surprises ", assure Wilhelm Laligant.

Vu le niveau de formation très élevé de certains cadres, les insuffisances de l'Education nationale ne sauraient expliquer à elles seules ces outrages au langage. " Les cadres ont de bonnes bases grammaticales et orthographiques. Le vrai problème réside plutôt dans la pratique quotidienne. Ils ne font plus attention à ce qu'ils écrivent. Soit par manque de temps, soit par mécanisme : l'écriture est devenue un acte tellement banal ! ", explique Bernard Fripiat. Jamais, en effet, le salarié n'a autant été amené à écrire : la généralisation du courriel (e-mail) a contribué à cette tendance. Difficile d'être attentif à son vocabulaire quand on envoie plusieurs dizaines de messages par jour... D'autant que l'e-mail est bien souvent perçu comme un moyen de communication informel, où les erreurs sont tolérées. A l'image du SMS, priorité est donnée au contenu du message plutôt qu'au respect de la langue. N'est-ce pas là l'essentiel ? En entreprise, la maîtrise d'un français raffiné n'apparaît pas vraiment comme une priorité majeure. " Même si cela peut choquer les puristes, les erreurs de langage ne sont pas dramatiques en entreprise. L'essentiel, c'est d'être compris par tous ", explique Jean-Marcel Lauginie, président d'Actions pour promouvoir le français des affaires (APFA).


Des cours de conjugaison

Et, pourtant, les difficultés d'expression écrites ou orales révèlent certains effets pervers. Un salarié fâché avec le français peut être amené à s'en mordre les doigts. Faute grossière lors d'une présentation " power point " devant son équipe ou le client, erreur sur un document de synthèse transmis à son supérieur hiérarchique... De quoi se décrédibiliser pour longtemps et perdre confiance en soi. " Les gens mettent un affectif très important sur l'orthographe. On se met facilement dans la peau d'un cancre. Cela peut constituer un vrai traumatisme et freiner certains salariés dans leur travail ", explique Bernard Fripiat.

De quoi décider certaines entreprises à agir. Si les formations à la prise de parole sont déjà courantes, la formation à l'écrit est plus rare. Pourtant, l'intérêt est réel : rien de pire pour l'image d'une entreprise qu'un document adressé au client et rempli de fautes. La société Immobilier 3F, gestionnaire de 17.000 logements sociaux en France, l'a compris. Elle propose à ses salariés des cours de français, destinés à leur apprendre à répondre convenablement aux réclamations de locataires mécontents. L'agencement des idées, la cohérence du propos, la présentation du courrier y sont scrupuleusement abordés. Un retour aux bases qui va parfois plus loin.

Ainsi, la Chambre de commerce et d'industrie de Nice n'hésite pas à former les salariés des quelque 23 établissements dont elle est gestionnaire - dont les aéroports de Nice et de Cannes - à la pratique de l'orthographe. A raison de sessions de quatre jours, ils revoient les rudiments des conjugaisons et des participes passés. Tous les publics sont concernés : les assistantes de direction comme l'encadrement.


Agir avec doigté

Ce type de formation, effectuée sur la base du volontariat, n'est pourtant pas sans risque. Bernard Fripiat se souvient d'un exemple révélateur : " Il y a quelques années, un PDG avait fait appel à mes services. Il voulait travailler son orthographe car, à la suite d'une réunion, il avait surpris deux de ses collaborateurs en train de se moquer de ses erreurs. Je suis allé le voir dans des conditions rocambolesques : il m'interdisait de dire à sa secrétaire la raison de ma venue et je le voyais presque en cachette, à l'insu de ses collaborateurs. Prendre des cours de français à plus de quarante ans lui paraissait trop honteux pour l'avouer. "

Les entreprises doivent donc agir avec doigté sous peine d'obtenir l'inverse de l'effet désiré. Une problématique que le groupe Véolia Environnement tente actuellement de résoudre en mettant en place, depuis quelques années, un plan d'action contre l'illettrisme. Destinées aux techniciens - agents d'entretien, chauffeurs de bus, ramasseurs de poubelles -, les formations sont proposées dès que le salarié accède au niveau supérieur de responsabilité. De quoi vérifier ses aptitudes, mais aussi de ne pas le froisser avec une formation trop scolaire. " Cela évite de stigmatiser le salarié. On préfère l'accompagner et lui ouvrir des perspectives plutôt que de le mettre uniquement devant ses lacunes ", indique Vincent Merle, directeur de la prospective sociale chez Véolia.

Un système qui concerne là encore tous les publics : au sein du groupe, des formations sont proposées pour les cadres trop handicapés par leur expression écrite. Pour adoucir leur calvaire, ceux-ci pourront toujours se consoler avec ce mot de Lamartine cité par Bernard Fripiat : " L'orthographe est l'intelligence des imbéciles. "

Maxime Amiot