Pourquoi veulent-ils tuer le français ?


Pourquoi veulent-ils tuer le français ? Bernard Lecherbonnier
Pourquoi veulent-ils tuer le français ?
Albin Michel, mars 2005, 256 pages.

[Quatrième de couverture]

Pourquoi veulent-ils tuer le français ?
Les fonctionnaires pour faire carrière, les hommes d'affaires pour gagner de l'argent, les chercheurs pour gommer leur nationalité, les politiciens par soumission aux prétendues lois du marché.
Conspiration hétéroclite, cinquième colonne composée de pédagogues libertaires qui ont programmé le massacre de la grammaire et de la littérature dans l'enseignement, d'ultralibéraux prêts à sacrifier vingt siècles de civilisation sur l'autel du profit immédiat, de régionalistes qui instrumentalisent la question de la langue pour disloquer l'unité nationale, de fédéralistes rêvant d'unifier l'Europe autour du seul anglais.
Le responsable d'un tel gâchis ? Le pouvoir politique qui, depuis 1995, a sacrifié la politique de la langue nationale, patiemment édifiée par ses prédécesseurs, aux impératifs économiques, aux injonctions bruxelloises, aux provocations séparatistes.
Les solutions ? Elles existent : il suffit d'appliquer la loi constitutionnelle en France et les conventions internationales hors de France. Mais y a-t-il encore un pilote dans l'avion ?

Bernard Lecherbonnier, professeur à l'université de Paris-XIII, directeur de recherches en études littéraires francophones, brosse un tableau alarmant de la situation avec ce plaidoyer en faveur d'une défense active de la langue française, « langue de la République » selon l'article 2 de la Constitution.


Compte rendu de lecture


Essentiellement un travail de linguiste, spécialiste de la langue, qui s'insurge contre l'américanisation du français, et la "trahison des clercs" (enseignement de l'anglais en primire, etc.) sans compter celle des "élites" (grandes entreprises françaises imposant l'anglais). Il commence là où Etiemble avait terminé son Parlez-vous franglais ? : constat d'un quasi-complot visant à faire perdre toute notion de culture, au profit d'une disponibilité économique.

Au niveau des responsabilités, Bernard Lecherbonnier constate une connivence de fait entre le courant libertaire issu d'une mauvaise lecture de 68 et l'ultra-libéralisme – le second seul ayant pleinement conscience de ce qu'il fait, les autres, pédagogues et didacticiens des IUFM en tête, étant constitué de pauvres cloches qui ont peu à peu saisi tous les rouages de l'Education : violentes attaques contre les IUFM, et encensement de Sauver les lettres.

Attaques tous azimuts contre Ferry et Viala (très féroce), Allègre, Kouchner, mais aussi bien Martin Bouygues, Alain Minc, Louis Schweitzer Serge Tchuruk, Pascal Lamy (remarques incisives sur la perte du français au sein des instances européennes et internationales)...

Idée générale : les ministres et responsables qui font la promotion de l'anglais sont en fait, à droite comme à gauche, des atlantistes plus ou moins déclarés qui ont fait du modèle américain leur cheval de bataille. En pratique, généralisation des méthodes de lecture globale et semi-globale pour anéantir l'esprit même du français : fabrication volontaire d'un handicap permanent. Bernard Lecherbonnier s'élève contre l'apprentissage de l'anglais en primaire, arguant du fait qu'on ne doit pas apprendre une seconde langue tant que la langue maternelle n'est pas fixée.

Bonne page [après un résumé des travaux et conclusions de la Commission Viala] :
"L'objectif d'Alain Viala est clair : émasculer la littérature, en faire une catégorie de la communication, supprimer toute référence à la notion de style, évacuer toute idée d'esthétique. Aucun régime totalitaire n'a eu l'audace de pousser la censure jusqu'à cette limite." (suite pp. 64-65) Idée au passage que seuls quelques lycées de centre ville et quelques grandes boîtes privées échappent au désastre, avec la complicité des divers acteurs (institutions, inspection, etc.) de façon à préserver les héritiers des privilégiés. Education à deux vitesses, création d'une main d'oeuvre acculturée, etc.

Dénonciation de la politique ministérielle qui va dans le sens du désastre dans le seul souci d'économiser des heures d'enseignement.

Responsabilité des instituts de recherche scientifique, qui ont accepté l'idée que l'anglais était la langue de la science, et des acteurs économiques majeurs, persuadés itou que c'était la langue des affaires. Chapitre plus contestable (il m'a confié que celui-là avait été très mal perçu et compris) sur les langues régionales : notre ami est un jacobin pur et dur. Chapitre ("L'Ere de l'autruche") sur les diverses politiques officielles menées depuis, en gros, la Libération. Et fin sur le "black french" (ce devait être le titre général, mais Albin Michel a calé dessus) : responsabilité de Jospin dans la déroute du français, créolisation de la langue sur le territoire national même. Bernard Lecherbonnier évite de s'assimiler aux puristes, mais prend parti pour une langue et une culture vivantes, qui devrait s'appuyer sur une étude sérieuse de la langue et de la culture passées. Considérations au passage sur le rayonnement de la langue française hier et aujourd'hui. Finit en affirmant que le problème est politique, et que sa résolution viendra d'une réorientation politique – à condition que les médias, qui jouent la collaboration atlantiste, en mettent un coup.


Jean-Paul Brighelli

04/2005