De l’inanité de l’enseignement des langues dans l’Éducation nationale :
la goutte d’eau qui fait déborder le vase.


      Professeur agrégé d’espagnol, je corrige le baccalauréat tous les ans depuis plus de deux décennies. Je tiens aujourd’hui à signaler au collectif le degré d’exigence particulièrement consternant des épreuves actuelles, dont la médiocrité, voire l’inanité rend parfaitement inutiles tous les efforts fournis par les élèves et par leur professeur pendant l’année scolaire.

      Sous le prétexte de respecter le Cadre Européen des Langues Vivantes (le niveau du cycle terminal des lycées pour la langue vivante II étant le B1), les commissions chargées de composer les sujets réduisent ces derniers à une peau de chagrin frisant le ridicule, tant l’incompétence et l’ignorance y sont valorisées.

      On en veut pour preuve le sujet d’espagnol proposé à l’attention des élèves de la série STG (Sciences et Techniques de Gestion) lors de la récente session de juin 2007. Cette épreuve écrite, fondée sur un texte d’une trentaine de lignes, et composée comme c’est l’usage dans les autres séries d’une partie de " compréhension " et d’une partie d’" expression personnelle " est une innovation de l’année 2007 ; quelque surprenant qu’ait pu sembler l’ajout d’une épreuve écrite pour des élèves inscrits dans une série essentiellement tournée vers l’oral, on pouvait naïvement croire qu’il s’agirait de valoriser la rigueur de l’expression ou le niveau de la compréhension afin d’établir un contrepoint à l’épreuve orale, dont les exigences étaient déjà dramatiquement réduites. Il n’en est rien, et les consignes d’évaluation adressées aux professeurs correcteurs par l’inspection ont eu tôt fait de détromper les espoirs illusoires formés par certains d’entre nous.

      La première partie du sujet, censée évaluer la bonne compréhension du texte par le candidat, s’avère en effet parfaitement inopérante de ce point de vue, puisqu’un minimum d’astuce et de bon sens suffisent à ce dernier pour y obtenir la note maximale, soit 10 points sur 20. Parcourir d’un oeil plus ou moins distrait le texte proposé ; repérer – bien sûr sans nécessairement les comprendre – les quelques bribes d’espagnol qui constituent la réponse à la question posée, question généralement d’une simplicité désarmante et dont le " mot-clef ", pour plus de facilité, figure souvent déjà dans l’énoncé; recopier, avec une orthographe plus ou moins erronée, les quelques expressions sélectionnées, bien entendu en négligeant de les faire précéder d’une ou deux phrases d’introduction, conformément au voeu explicite de ceux qui organisent l’épreuve : tout élève capable d’exécuter à peu près convenablement ces exercices élémentaires se voit attribuer la totalité des points.

      Quant à la prétendue " expression  personnelle ", la grille de correction qui la concerne fera sourire quiconque ignore les arcanes actuels du baccalauréat, qui sont responsables de l’éblouissant taux de réussite de cette parodie d’examen. Il y est en effet indiqué en toutes lettres qu’une rédaction " inintelligible " et " hors-sujet ", au lexique " indigent " ainsi qu’à la " présentation inacceptable " et à l’ écriture illisible ", mérite d’être notée...2,5 points sur 10, soit le quart de la note pour une copie indigne à tous égards. Comme pour l’épreuve d’oral nouvellement instituée, où il suffit d’émettre un son vaguement articulé pour obtenir 05 sur 20, il suffit désormais de savoir tenir (à peu près) correctement un stylo pour avoir la moyenne ou même davantage à l’épreuve écrite. Il est donc quasiment impossible pour un correcteur qui respecte scrupuleusement ces consignes scandaleuses de mettre une note inférieure à la moyenne au baccalauréat écrit des STG.

      La série STG n’est du reste qu’un exemple parmi d’autres, puisqu’aujourd’hui même les sujets proposés en séries littéraire et scientifique ne demandent plus qu’un vague travail de " repérage " - terme pompeux et flou pour désigner le recopiage – dans la partie dite de " compréhension ".

      Un tel système d’évaluation revient donc à rendre inutiles les efforts des professeurs consciencieux et dévalue le travail des bons élèves en nivelant totalement les écarts possibles entre les notes. Dans une société qui cherche à revaloriser la valeur du travail et le sens de l’effort, n’y a-t-il pas ici un paradoxe qui découragerait les plus tenaces ?

      Jusqu’où ira-t-on dans l’entreprise systématique de destruction de l’enseignement des langues vivantes dans l’Éducation Nationale, destruction qui prend maintenant le relais de celle des langues anciennes et de la littérature française ? Quand donc l’hypocrisie de la prétendue " science didactique " cessera-t-elle de masquer le renoncement à un minimum d’exigence ? Que cherchent réellement nos inspecteurs, nos recteurs, nos ministres, en détruisant consciemment et méthodiquement l’enseignement des humanités ? Quel intérêt ont-ils à encourager la baisse générale du niveau scolaire des jeunes gens ? Que gagne-t-on à favoriser un tel gâchis, tant financier qu’intellectuel ? Comment les adultes peuvent-ils enfin rester crédibles, qui organisent sans vergogne semblable mascarade ? Je ne peux, hélas, pas donner de réponse à mes élèves perplexes...


Catherine Marcelle

07/2007