La mise en oeuvre du programme de français en classe de seconde


Site du ministère/rapports/les rapports de l'igen

Octobre 2003

La mise en oeuvre du programme de français en classe de seconde : ftp://trf.education.gouv.fr/pub/edutel/syst/igen/rapports/francais_seconde_03.pdf

Extraits [certains passages mis en gras et quelques références dans les encadrés] :

(Partie « Mal lu, mal vu ou malentendu »)

Les registres. « Une lecture attentive du programme 2001 (seconde et première) permettrait peut-être d’en recenser six : le comique, le tragique, le polémique, l’épique, le lyrique, l’élégiaque. La recension dans les manuels situerait le nombre du côté de la douzaine. Tout y devient registre, l’ironie et le réalisme, l’élégiaque – qui en est bien un - et l’épidictique, le polémique et l’oratoire. Le champ d’extension des registres s’avère quasi infini. L’examen de cette même notion sur quelques sites internet signalés par un moteur de recherche à l’entrée « registres littéraires » fait osciller le nombre entre 13 et … 33 : à côté des « registres » communs à tous, on trouve entre autres et par ordre alphabétique l’absurde, le badinage, la diatribe, la dérision, la fantaisie verbale, la réfutation et le sublime. En l’absence de recherche universitaire qui fasse le point, il faut admettre que ce terme, fort commode, synonyme grosse [sic] modo de tonalités, n’est jamais défini selon des critères convaincants : est- il même défini, autrement que par cet énoncé emprunté aux documents d’accompagnement : les registres seraient ces « attitudes qui correspondent à des façons fondamentales de ressentir »). Les enseignants sont perplexes, désorientés et cherchent vainement une référence.

Sur le plan de la simplification didactique, quels sont les « registres » les plus opératoires, les plus pragmatiquement utiles ? Il est très difficile, reconnaissons- le, de cerner la notion de « registre ». Tout registre – nous semble-t- il - est lié à l’effet à produire et se situe au croisement d’un genre premier privilégié, de thèmes qui lui sont propres, souvent même de topoi, de procédés singuliers récurrents. Quatre critères articulés donc : un effet visé, un genre « premier », des thèmes singuliers, des procédés spécifiques. Le registre est atemporel : il parcourt la littérature et l’art universels et ne saurait donc se confondre avec un mouvement. Le réalisme n’est pas un registre, comme on le voit trop souvent dans les cahiers de textes, pas davantage le symbolisme. Le comique en revanche constitue bel et bien un registre : l’effet à produire est explicite, les thèmes (situations / fonction du langage) apparaissent aisés à recenser, les procédés bien connus, le genre premier (la comédie) où il s’incarne s’avère facile à définir en seconde. Le tragique, l’épique obéissent sans difficulté à ces critères de classification, ainsi que le fantastique, le pathétique, le lyrique et l’élégiaque. Avons-nous besoin en classe de plus de sept registres, pléiade pertinente pour aider à définir les tonalités et les effets des textes littéraires ? On pourrait y ajouter le burlesque (le contre épique). Cette liste sera, parions-le, remise en cause ; du moins permet-elle de limiter la notion et les dégâts, en n’autorisant pas l’entrée de prétendus registres qui doivent tout à l’énonciation (l’ironie) ou à l’histoire d’un genre (l’éloge, le pamphlet,) ou à un mouvement (le réalisme). On a lu dans un cahier de textes qu’il y avait un « registre classique » dont on a attendu vainement la définition. Et le programme ne clarifie pas les choses en évoquant à propos de l’argumentation le registre « polémique ». Il est indispensable que l’institution – les corps d’inspection, les responsables en Lettres de la formation initiale et continue, des serveurs académiques – unissent leurs efforts pour faire de cette « perspective littéraire » un objet aux contours et aux contenus mieux définis. L’apport des universitaires s’avérerait en ce domaine, comme dans bien d’autres, très précieux. »

" Tous les praticiens des études littéraires aujourd’hui ne sont pas d’accord sur la liste des principaux " registres " - ni du reste sur la nécessité même d’introduire une telle notion dans leur champ. Il y a donc ici un abus de pouvoir. " Tzvetan Todorov, in Perspectives actuelles de l’enseignement du français).

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Connaissance et réception des textes officiels

Diffusion des documents

Les documents d'accompagnement dont chaque enseignant a une version à sa disposition ont été bien distribués et constituent des textes de référence pour nombre de professeurs, notamment pour les stagiaires PLC2. Toutefois, on doit déplorer que ces documents, lus ou étudiés dans l'instant de leur parution, ne demeurent qu'épisodiquement un adjuvant et que bien des recommandations ou exemples demeurent ignorés ou inexploités. Les prescriptions portant sur l'étude de la langue, les activités orales, l'écriture d'invention, les perspectives d'étude notamment ne trouvent que rarement leur réalité concrète dans les classes. Nous y reviendrons. Il faut encore regretter que ces documents - dont chacun reconnaît la densité et la qualité, mais dont on stigmatise aussi le caractère touffu ou irréaliste - ne soient pas davantage utilisés. L'esprit d'ouverture qui les anime - dans le choix des textes, le croisement des objets d'étude, l'élaboration des projets pédagogiques, la définition des démarches de productions écrites moins normées - n'irrigue guère les pratiques. Le programme est appliqué de façon que l'on pourrait juger trop étroite : il est lu et compris comme une succession d'objets d'étude spécifiques, traités comme tels par les professeurs, sans qu'ils s'interrogent sur la pertinence de ces choix, la cohérence de leur introduction dans les textes officiels, la dynamique qui les inspire. Faute d'une réflexion que seule peut apporter la formation continue, on pourrait craindre qu'à la longue le "nouveau programme " ne soit l'occasion de recycler les anciennes habitudes, de conforter les pratiques et les choix traditionnels. Ce serait dès lors passer à côté de l'originalité et de l'intérêt des orientations voulues.

Sauf si : "L’analyse d(es) œuvres n’a pas pour but d’illustrer les concepts que vient d’introduire tel ou tel linguiste, tel ou tel théoricien de la littérature, et donc de nous présenter les textes comme une mise en œuvre de la langue et du discours ; mais de nous faire accéder à leur sens." (Tzvetan Todorov, in Perspectives actuelles de l’enseignement du français).

 

Horreur : " ils " savent utiliser internet !

Quand les enseignants ont besoin d'aide pour construire une séquence par exemple, ils ont moins recours aux documents d'accompagnement qu'à des revues pédagogiques, et de plus en plus fréquemment, via les listes de diffusion ou les moteurs de recherche, à des sites intemet, personnels ou académiques. Ces recours et ces échanges tendent à promouvoir certains titres : Inconnu à cette adresse, le court roman de Kressmann Taylor (éditions Autrement Littératures 1999), se retrouve par exemple dans les cahiers de textes de nombreux professeurs répartis dans toute le France. Ils entretiennent aussi une confusion certaine quand il s'agit de définir une notion: nous le verrons par exemple quand nous évoquerons la perception des "registres littéraires ". Il conviendra un jour de s'interroger sur l'impact des technologies de l'information sur les pratiques et de tenter de mesurer comment, plus fortement que les textes officiels, elles déterminent des choix pédagogiques et didactiques : élection de certains romans - notamment contemporains -, mise en oeuvre de séquences préfabriquées, constitution de " projets pédagogiques " clés en main... On doit se réjouir de la curiosité des enseignants de Lettres soucieux d'échanger des pratiques, de varier leur choix d' oeuvres, de s'ouvrir à des textes plus contemporains. Mais le problème se pose de la fiabilité des sources, de la validité des propositions, voire de la correction et de la fidélité des textes littéraires intégrés aux sites consultés. Il est nécessaire que les formateurs et les corps d'inspection se tiennent informés eux-mêmes sur les banques de données accessibles et que les serveurs académiques continuent à être ou deviennent des foyers d'information et d'échanges. L'institution se doit de proposer aux professeurs, et notamment aux plus démunis - enseignants débutants, contractuels... - des lieux où les exemples de pratiques les plus éprouvées, de séquences les mieux élaborées et justifiées, de croisements d'objets d'étude les plus pertinents, de dispositifs pédagogiques les plus favorables à la prise de parole des élèves, de progressions annuelles, de procédures d'évaluation, puissent être mis à la disposition de chacun : c'est la vocation même des serveurs académiques. Mais outre que la tenue régulière d'un site intemet pose des problèmes multiples (constitution et rétribution d'une équipe), on ne saurait attendre de la télé-formation la réponse aux problèmes de l'information et de la formation des professeurs.

(…)

Le reproche le plus entendu tient à la lourdeur du programme, au nombre et à l'exigence des " objets d'étude " imposés par les concepteurs. Comment être respectueux de la totalité du programme et cependant traiter en profondeur certains de ses points ? Comme le dit un compte rendu de pratique : " Si je consacre trois séquences au Romantisme, comment étudier sur l'année la totalité des sujets ? ". Ce type de questions a le mérite de la lucidité. Ce n'est pas le moindre intérêt des nouveaux programmes et de leur réelle densité que de les faire émerger, signe peut-être d'une refonte de la didactique de notre discipline en lycée.

(…)

 

Les objets d'étude et la conception des séquences

Une conception renouvelée

Dans la quasi-totalité des situations observées, les objets d'étude structurent les projets pédagogiques. Les "perspectives d'étude " ne sont pas perçues en règle générale comme des outils pour construire une progression dans l'année. Les objets les plus longuement ou profondément traités concernent le récit au XIX° et XX° siècles, le théâtre, l'argumentation, l'histoire littéraire, bref ceux qui, sans intitulé explicite et articulés autrement, constituaient l'ossature des projets pédagogiques antérieurs aux programmes 2001. Les " nouveautés " apparaissent dans les cahiers de textes marginalisées ou traitées plus elliptiquement. " Le travail de l'écriture " ou " Ecrire, publier, lire " font l'objet de séquences brèves, ou constituent l'appendice d'une autre séquence plus " noble " (le récit ou l'histoire littéraire).

Il convient de s'interroger sur le statut de ces nouveautés et les raisons de leur désaffection. Nombre d'enseignants interrogés arguent du manque de documents ou de formation pour les traiter avec compétence ou efficacité. Un parcours rapide des manuels parus - plus d'une douzaine pour la classe de seconde - montre que, aussi bien sur le travail de l'écrivain que sur la réception et la diffusion des oeuvres, des chapitres complets ou des pages d'information assortis de documents variés ont été montés par les concepteurs. Des sites multiples - on peut évoquer celui de la BNF - présentent des brouillons d'écrivains et de nombreux ouvrages ont paru sur la sociologie de la lecture, la situation de l'écrivain en son temps (on songe à La naissance de l'écrivain d'Alain Viala). Des polémiques récentes sur les conditions de prêt en bibliothèque publique par exemple ou la "validité " des prix littéraires ont fait naître une abondante production d'articles argumentatifs propres à alimenter débats et productions écrites. Les raisons invoquées ne convainquent donc pas. Sans doute faut-il voir dans cette absence d'enthousiasme pour ces deux éléments constitutifs du programme la simple raison de la nouveauté. Ce qui est nouveau désoriente, désarçonne et fait naître chez les enseignants la peur de mal faire, de ne pas dominer le sujet. Ces scrupules doivent être pris en compte par les responsables académiques de la formation (initiale et continue) : nous devons apprendre aux professeurs de français à intégrer ces nouvelles dimensions à leurs pratiques, leur présenter des séquences qui articulent les objets d'étude traditionnels (récit/ théâtre / argumentation/ histoire littéraire) et les objets délaissés.

Une autre explication peut être avancée. L'analyse de ces objets nouveaux ne renvoie pas à des pratiques scolaires bien identifiées. Un indice confirme l'hypothèse : sur les sept objets d'étude fixés par le programme, cinq sont obligatoires, deux optionnels (" Ecrire, publier, lire ", " L'éloge et le blâme "). Le second optionnel, qu'un groupement de textes peut aisément permettre d'aborder, est généralement traité ; le premier a plus de mal à trouver sa place. Aucune oeuvre intégrale, aucun groupement de textes ne permet en effet de le traiter avec pertinence. Dès lors l'équation trop vite établie (un objet d'étude = une séquence = une oeuvre intégrale ou un groupement) ne fonctionne plus et ce résultat non algébrique bouscule une conception trop étroite ou contrainte.

L'abandon ou la marginalisation des nouveaux objets serait un renoncement à ce qui fait une des originalités du programme.

Autre explication : si "conception renouvelée" et "originalité" étaient des contresens ?

"Tous ces objets de réflexion ne sont que des constructions abstraites, des concepts forgés par l’analyse littéraire pour aborder les œuvres ; aucun n’est formé des œuvres elles-mêmes, de leur sens et de leur histoire."(Tzvetan Todorov, in Perspectives actuelles de l’enseignement du français)

(…)

Le statut de l'argumentation

(…)

L'apprentissage de la dissertation et nombre de sujets d'invention ressortissent à la connaissance théorique et pratique du discours argumentatif. Le terme de " discours " n'est pas neutre. C'est ce choix théorique, on le sait, qui structure la totalité des programmes de collège en français. On en retrouve l'esprit et la lettre dans la définition même que donne le Bulletin Officiel n° 28 du 12-7-2001 : " L'argumentation et les effets de chaque discours sur ses destinataires ". Ce libellé conforme à ce qu'on a nommé la "nouvelle rhétorique " induit une prise en compte de nouveaux éléments, comme l'image de l'émetteur et la représentation de l'auditoire (expression empruntée à Perelman). Ces éléments étaient nettement inscrits dans la logique de l'apprentissage du premier sujet des sessions de l'EAF antérieurs à 2002, mais très vite les outils utilisés ont sclérosé et à la longue perverti l'activité de lecture sur le texte argumentatif

L'objectif est de " montrer que dans un discours argumentatif, l'argumentation est déterminée par la situation de communication, l'éthos du locuteur, l'image qu'il se construit du destinataire, le genre argumentatif dans lequel elle s'actualise ". Est-il pour autant pertinent de proposer en " invention " la lettre d'un habitant de Guernesey partisan de la peine de mort, répliquant à la "lettre aux habitants de Guernesey " de Hugo ou le discours d'un député de l'assemblée constituante, répondant à l'orateur Hugo le 15 septembre 1848 ? On ne le pense pas

"Le texte poétique est étudié en rapport avec la dimension sensible de l’argumentation" (DA p. 36)

"Qu’est-ce que la littérature en tant qu’elle est aussi argumentation ?" (Alain Boissinot, Ecole des Lettres, décembre 1999)

Réponse ci-dessous…

Par ailleurs, une maladresse sévit dans les pratiques de classe, que l'on pourrait nommer le " tout argumentatif ". Il arrive trop souvent que le texte littéraire ne soit plus interrogé que dans sa dimension argumentative au détriment de tout autre et parfois jusqu'au contre sens. Une collègue IA IPR donne, non sans humour, cet exemple rencontré : " Ronsard va-t-il convaincre Hélène de lui rendre son amour ? Etudiez le circuit argumentatif. " Par delà l'anecdote, on reconnaîtra une dérive - dont le collège avec La Fontaine ou la classe de Première avec l'essai et l'apologue fournirait maints autres exemples - : limiter l'analyse du texte à une part seconde, le "plier " à la notion voulue, faire de l'argumentation le moule commun. La partie de ce rapport consacrée à la lecture analytique reviendra sur ce type d'erreurs.

 

Les corpus de textes

Faisons nous l'écho d'emblée d'un regret maintes fois manifesté : l'absence explicite de la poésie dans les programmes de seconde. Certes le choix du mouvement littéraire (par exemple le romantisme ou plus rarement le symbolisme) met les poètes au cœur des séquences et les activités sur les brouillons s'ouvrent aisément à un corpus de poèmes dans leurs différents états. De même, la réflexion sur "l'éloge " peut prendre appui spécifiquement sur des poèmes. On trouve dans maints projets pédagogiques ces détours ou heureux subterfuges pour " faire de la poésie ". Mais, par respect de la lettre du programme, la poésie s'avère le parent pauvre des projets et pourrait même, sans contrevenir aux textes officiels, être totalement absente. Professeurs, formateurs, corps d'inspection expriment leur déception. Le fait que le programme de première la situe au cœur du cursus n'apaise pas les inquiétudes. On pourrait souhaiter que l'apprentissage de la lecture - et de l'écriture - du texte poétique dessine explicitement un continuum du collège au lycée, et fasse l'objet en seconde d'une étude régulière. On se réjouit de voir que les enseignants, notamment à l'occasion de la découverte du mouvement littéraire ou des lectures cursives, fassent lire et étudier les poètes. Mais la poésie moderne ou contemporaine n'apparaît dès lors plus guère.

Dans les autres genres, les oeuvres choisies par les professeurs en texte intégral, supports d'une lecture analytique, s'avèrent somme toute assez variées, même si des tendances se dessinent. Il n'est pas possible d'affirmer en effet que les programmes de 2001 ont bouleversé le palmarès ou introduit de façon significative de nouveaux écrivains dans le panthéon scolaire. Chez les auteurs de récit, Maupassant, Zola, Balzac demeurent en tête.

"Il ne faut pas qu’on se limite au tiercé gagnant. (…) Il paraissait nécessaire d’élargir la gamme des genres proposés. (…) Le modèle littéraire qui s’est imposé au lycée… le modèle d’une littérature d’élite à forte visée esthétique… a perduré tant que les programmes n’ont pas bougé."(A. Viala, Président du groupe d’experts, Ecole des Lettres, décembre 1999). Et maintenant qu’ils ont bougé ?…

Enfin, puisque les professeurs ont le choix entre "comédie ou tragédie ", il est patent que ce choix se porte majoritairement sur la pièce comique, représentée deux à trois fois plus que le théâtre tragique, peut-être en souvenir de l'époque pas si lointaine où " on faisait Molière en seconde ".

(…) La réception que les professeurs manifestent dans leur projet pédagogique ne bouscule guère la représentation qu'ils donnent de la littérature en classe de Lycée. On privilégie toujours le récit et singulièrement le roman et la nouvelle du XIX° siècle, le théâtre et particulièrement le théâtre dit "classique ". L'articulation avec l'objet d'étude " Histoire littéraire " favorise ce choix : très majoritairement, on établit en effet la liaison entre le roman et le naturalisme, ce qui permet à Zola et à ses deux romans Germinal et L'Assommoir d'être en tête - avec Maupassant pour la nouvelle - des auteurs les plus fréquentés. Et la seconde a été depuis des lustres la classe où s'étudiait une tragédie ou une comédie du XVII° siècle. Le programme a confirmé et légitimé ces pratiques que l'on peut justifier par un attachement très fort au " patrimoine littéraire " et par la volonté de construire une " culture partagée ". Un autre élément concordant est à noter : le regret le plus unanimement ressenti, on l'a dit, porte sur l'absence de l'objet d'étude explicite " la poésie ". Roman, théâtre, poésie, voilà l'expression de la nostalgie générique, clé de voûte des projets pédagogiques antérieurs. On voit bien ainsi que, en règle générale, les pratiques et les oeuvres consacrées sont en quelque sorte récupérées et, si on ose dire, recyclées pour retrouver une légitimité.

En effet : "Si en physique est ignorant celui qui ne connaît pas la loi de gravitation, en français l’est celui qui ne connaît pas Les Fleurs du Mal. On peut parier que Rousseau, Stendhal et Proust resteront familiers aux lecteurs longtemps après que seront oubliés les noms des théoriciens actuels ou de leurs constructions conceptuelles." (Tzvetan Todorov, in Perspectives actuelles pour l’enseignement du français)

Or, si le nouveau programme est bien fondé sur les grands textes et auteurs de notre patrimoine littéraire, il en recommande une approche renouvelée, qui n'est pas encore suffisamment mise en oeuvre.

On comprend pourquoi : "Dire à un enfant de lire un livre parce qu’il illustre un certain registre n’est sans doute pas de nature à l’enthousiasmer." (Alain Boissinot, in Perspectives actuelles pour l’enseignement du français)

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Tradition et rénovation

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L'oubli ou l'ignorance des perspectives d'étude, jugées secondaires, superfétatoires ou d'une belle évidence, la difficulté à construire des séquences qui croisent en les articulant deux ou trois objets d'étude pour reprendre par la suite tel ou tel dans une autre séquence, illustré par d'autres textes, ont une conséquence néfaste : ils conduisent l'enseignant à ordonner un défilé d'oeuvres intégrales et de groupements de textes autonomes qui n'entretiennent les uns avec les autres sur le cursus de l'année aucun rapport construit.

(…)

Construction des projets

(…)

Les projets fortement marqués par les individualités des professeurs suivent ensuite des parcours singuliers et il s'avère difficile d'indiquer des tendances. La même autonomie, relevant d'une appréhension fort différente des textes officiels, explique - sans la justifier - qu'on ne puisse pas davantage indiquer un nombre de séquences moyen par projet. De la condensation en quelque cinq séquences à la dilution dans douze ou quatorze micro-séquences, il semble que tout soit possible. Mais ce nombre n'a pas lui-même grand sens, tant apparaît différente la conception même de la séquence

(…)

. Ici on constaterait que le groupement envahit le projet au détriment de l'oeuvre intégrale ; là on a plaisir à dénombrer l'étude de quatre à six textes intégraux en lecture analytique. Le problème est moins celui du nombre respectif de telle ou telle approche que du contenu même des activités. Si la recherche didactique a permis il y a une quinzaine d'années de faire le point sur la démarche d'étude d'une oeuvre intégrale, il semble que cette pratique pose à nouveau problème : trop de projets la limitent à un choix de textes prélevés dans l'œuvre sans que le sens de l'étude apparaisse, sans que les extraits soient liés par une articulation explicite.

Oui, mais… : "Le but est de faire apparaître le fonctionnement et la spécificité du genre…" (BO). Donc…

Se réinstalle majoritairement le règne des "morceaux choisis " : la conception dynamique d'une approche globale - visant à rendre compte non seulement de l'intégralité mais de l'intégrité de l'œuvre tend à s'effacer, et avec elle les activités liées à une prise en compte de son unité singulière. Parallèlement, le groupement n'est plus élaboré à partir d'une problématique, mais devient le lieu de passage, et non de rencontre, de pages chargées d'illustrer à tour de rôle un aspect de la notion, sans que la confrontation organise une construction: un texte biographique sur le mal du siècle, un romanesque sur Napoléon, un troisième, extrait d'une préface sur le mélange des genres, un poétique sur le paysage, un dernier théâtral qui mette en scène un héros s'évertuent à donner une image du Romantisme... dont on peut dire qu'elle est éclatée.

(…)

De la séquence

(…)

Faut-il inaugurer la séquence par un cours magistral ou le placer en cours... d'apprentissage ? Nul en effet n'a jamais interdit un cours magistral pour faire le point sur une notion, à condition que sa longueur, son statut, sa densité, son caractère ponctuel, son éventuelle évaluation, les recherches personnelles qui lui sont associées soient vécus comme un temps singulier de la communication pédagogique et que cette pratique ne constitue pas la norme de la relation maître/élève.

(…)

Les approches des textes : lecture analytique et lecture cursive

" La lecture cursive est la forme libre, directe et courante de la lecture " (BO première version)

"La lecture cursive… est la forme la plus libre et la plus courante de la lecture." (DA p. 82)

(…) On renvoie sur l'articulation sur ces deux modes de lecture aux documents d'accompagnement des programmes des classes de collège et de lycée et aux définitions données par le BO n°28 du 12-7-2001. Ce qui est à retenir tient essentiellement à la nécessité d'introduire dans l'apprentissage des élèves des rythmes de lecture et des modes d'appropriation des livres variés. L'activité de lecture n'est ni " normale ", ni " naturelle ". Elle est le fruit d'habitudes culturelles et de compétences complexes, incessamment approfondies. C'est en lisant qu'on devient lecteur, et cela ne va pas de soi

(…)

 

Une introduction plébiscitée mais problématique

La lecture cursive est un mode d'appropriation de la littérature, personnel, ouvert, selon un rythme non imposé, et généralement hors temps scolaire. Mais cette définition recèle toute une part d'ambiguïté qu'il est difficile de lever. Les élèves peuvent ils ne pas lire les textes ou oeuvres proposés par le professeur ? La lecture cursive est elle une activité scolaire ou constitue-t-elle un temps "gratuit ", libéré des contraintes d'un compte rendu ou des exigences de l'évaluation ? Les instructions officielles précisent que les lectures cursives complètent, enrichissent, diversifient les compétences construites pendant l'année. Elles ont donc un caractère obligatoire et font partie du travail des lycéens que le professeur est en droit d'imposer. Nous sommes donc assez éloignés de la lecture dite " buissonnière ", qui a pleine légitimité, mais qui n'a guère de chance de s'épanouir dans le cadre de la classe : du moins peut-il l'accueillir. Cependant, pour préserver la souplesse inhérente à l'activité intime de la lecture, la plupart du temps le professeur laisse, dans un échantillon large et cohérent de livres et de textes suggérés, le choix à l'élève. Faut-il vérifier la qualité de la tâche et sous quelle forme ? Toutes les pratiques sont possibles et les enseignants ne restent pas prisonniers de l'une ou de l'autre : compte rendu écrit (la fiche de lecture sévit toujours) ou oral de la lecture sous des formes imposées (durée ou longueur, organisation de l'exposé) ou plus libres (échanges, débats, discussion, articles de critiques, paragraphes amorcés par " j'ai aimé ", transpositions d'émissions de télévision... ). Faut-il évaluer cette activité ? La situation est fort différente de celle qui prévaut en première. On sait qu'à l'oral de l'EAF la discussion peut porter sur les lectures cursives du candidat liées à l'objet d'étude et/ou à la séquence choisie par l'examinateur. La responsabilité du professeur qui prépare sa classe à l'examen est engagée : il se doit donc de garantir que les lycéens ont bien lu et correctement interprété les oeuvres qui figurent sur leur descriptif. Un contrat moral lie professeur et candidat puisque les lectures cursives - leur réalité, leur pertinence, leur qualité - sont évaluables à l'examen. En seconde, une plus grande souplesse peut être recommandée, pour laisser à chacun le choix entre un fonctionnement contraint ou une ouverture à la responsabilisation et à la liberté d'appréciation et d'interprétation des lecteurs. Mais il apparaît utile de recommander qu'une forme de validation soit donnée en classe suivant des modalités qu'il convient de varier, mais qu'on aimerait davantage fondées sur l'oral. Si ces lectures sont validées à l'écrit, que ce soit sous la forme d'une écriture " socialisée " ou d'invention, telle que la mettent en oeuvre des professeurs hostiles à la fiche de lecture : article critique pour une revue ou dans un journal scolaire, lettre fictive, lettre à l'auteur assortie d'un questionnaire, préparation d'une exposition, d'une page web... L'évaluation de ces productions a de la sorte une pleine efficacité, puisqu'elle constitue un temps de l'apprentissage de toutes les formes d'écrit.

 

La " lecture analytique " : un problème aigu

(…) D'autres écueils sont à signaler : l'instrumentalisation et la dilution. La première dérive, qui sévit surtout en collège mais qu'il n'est pas rare de retrouver en seconde, consiste à subordonner le texte à la mise en place d'un outil ou d'une notion. L'étude du récit est propice à ce défaut : l'objectif de la séance apparaît être la mise en valeur du schéma narratif ou des problèmes liés au point de vue, bien plus que l'analyse du texte qui sert de support et de prétexte à cette étude

Car : "Le but est de faire apparaître le fonctionnement et la spécificité du genre…" (BO)…

La seconde, diamétralement opposée, porte sur l'absence de projet défini : le texte sert de champ d'investigation ou de manoeuvre où est mobilisée une armée d'outils ou d'instruments de lecture, sans que le récepteur puisse construire une interprétation claire et cohérente. Inlassablement il se pose la question: où nous conduit-on ? De telles lectures dites analytiques aboutissent au même effet que celui qui avait conduit à la disparition de l'explication linéaire : l'éparpillement des remarques, la dilution de l'attention et de l'intérêt, l'éclatement ou la pulvérisation du sens.

Pourtant : "Dans les programmes, … il s’agit toujours de chercher le sens avant tout."(A. Viala, Président du groupe d’experts, Ecole des Lettres , décembre 1999)

"L’élève en difficulté, c’est celui qui ne construit pas de sens." (Anne Armand, IG, Ecole des Lettres, décembre 1999)

 

L’étude de la langue

"Les programmes actuels adoptent une position… précise : ils ne font pas de l’étude de la langue un objet d’étude distinct". (DA p. 63)

Conséquences :

Le travail sur la langue fait aussi l'objet de séances spécifiques : en modules, en aide individualisée, souvent en correction des devoirs écrits. Ces activités, isolées, ne construisent pas un apprentissage planifié et maîtrisé, mais restent les réponses ponctuelles apportées par le professeur à une difficulté d'écriture constatée, une notion mal assimilée. Beaucoup d'enseignants déplorent à la fois cet émiettement conscient et le manque de temps que leur laisse le traitement du programme pour aborder tous les éléments qui seraient nécessaires. Nombre de ces temps sont consacrés au rappel de règles d'orthographe et aux corrections des erreurs morpho-syntaxiques dans les devoirs.

 

L'écriture d'invention

Les réponses au questionnaire sont unanimes : l'essentiel d'un travail jugé indispensable pour mieux articuler travail sur la langue et production écrite porte sur les écrits d'invention. L'introduction de l'écriture d'invention au lycée constitue une réelle nouveauté. Elle est dans l'ensemble bien accueillie : seule la contribution, par ailleurs sereine, d'un professeur demande la suppression de cet exercice, notamment en première et à l'EAF précise -t-il. Même s'ils ne nient pas que les problèmes sont nombreux (articulation avec le collège et progression, élaboration des sujets, relations avec les corpus de textes, mise au point des critères d'évaluation, hétérogénéité des productions...), les professeurs ont mis beaucoup d'énergie, d'intelligence et ... d'invention dans sa mise en œuvre

Pas plus qu'on ne saurait réduire un poème ou un récit à son enjeu argumentatif, aussi fort puisse- t-il être, on ne saurait rétrécir l'éventail des sujets d'invention à l'écriture de discours pour convaincre ou persuader autrui de la validité de telle thèse.

Notons enfin que de nombreux professeurs, remarquables de courage et d'honnêteté, proposent aux élèves des " corrigés-type " rédigés par leurs soins. A coup sûr, le professeur, ce faisant, découvre ou mesure les difficultés ou les ambiguïtés de la consigne et propose à chacun un exemple avec lequel se confronter. Mais sa production n'est pas toujours un modèle. L'idéal serait de fournir un texte littéraire qui réponde en quelque sorte à la consigne posée ; mais nous n'avons pas trouvé d'exemple de pratique qui ait mis en relation un corpus, une consigne d'écriture et le texte de référence pour corrigé...

(…)

Aucun compte rendu, aucun rapport d'inspection ne font état d'un travail directement lié aux TICE en classe. Nous constatons cette absence sans en tirer, faute d'information suffisante, aucune conclusion. Nous savons par ailleurs que des groupes nationaux et académiques - Lettres et TICE - travaillent à la mise en place d'outils, à la diffusion de pratiques, à la formation des professeurs. Au cours de notre enquête, le résultat de leur action et de leur engagement n'est pas apparu. Nous le regrettons vivement.

[mis en page par A.J.]
11/2003