Itinéraires de régression


Pour mettre en conformité ses actes et ses paroles, il y a une mesure courageuse que M. Ferry aurait pu prendre et qu’il n’a pas encore prise, malgré la valse-hésitation à laquelle on a pu assister : la suppression pure et simple du dispositif des itinéraires de découvertes au collège initié par Jack Lang (réforme des collèges BO du 14 juin 2001).

Rappelons de quoi il s’agit : ces itinéraires de découvertes sont censés permettre une approche interdisciplinaire et un travail autonome sur des projets, renforcer chaque discipline et obliger les professeurs au travail en équipe. " Au cours du cycle central, chaque élève choisit plusieurs itinéraires de découvertes dans un ensemble de quatre pôles (découverte de la nature et du corps humain, découverte des arts et des humanités, découverte des langues et des civilisations, initiation à la création et aux techniques). Chaque réalisation (on verra plus loin de quoi il s’agit, une sorte de chef-d’œuvre d’artisan) doit être évaluée dans le cadre du brevet d'études complémentaires.  Chacun de ces parcours doit concerner deux matières au moins et être dispensé à raison de deux par an, chacun sur onze à douze semaine (l’année scolaire dure en réalité trente-cinq semaines…). D'après ses promoteurs, ces itinéraires devraient permettre de lutter contre l'absence de motivation et constituer une voie d'approfondissement. Il est recommandé, pour la mise en oeuvre de ces itinéraires de découvertes d'organiser des emplois du temps " permettant de regrouper autrement les élèves et de les mobiliser de façon différenciée " , c’est à dire que les classes sont éclatées et reconstituées en " groupes ".

Mais qu’avons-nous à redire à un projet apparemment aussi grandiose et ambitieux ?

D’abord qu’il s’adosse à tous les totems d’un pédagogisme hasardeux qui a montré sa capacité de nuisance, à tous les étages de l’enseignement, depuis trente ans qu’il expérimente ses dadas ou ses utopies : inter-trans-méta…disciplinarité (sic), " autonomie " de l’élève, pédagogie de " projet " ; ensuite qu’il méconnaît nos élèves et les urgences du terrain, faisant litière de l’avis de la majorité des enseignants qui enseignent ; enfin, qu’il dévoie l’interdisciplinarité intelligente et consentie vers des activités ludiques et que, partant, il dévoie l’école de sa mission première : transmettre le savoir.


Constructivisme

Qu’est-ce que le constructivisme ? C’est, nous dit Liliane Lurçat [1], " la forme moderne de l'abandon pédagogique des enfants. " L’élève n’est plus en position de recevoir un enseignement mais  il construit lui même ses propres savoirs. Le constructivisme est l’expression du spontanéisme pédagogique, d’autant que ses promoteurs eux-mêmes l’opposent catégoriquement à la transmission des connaissances. Cette bonne idée qui nous vient avec un peu de retard des Etats-Unis où la massification a été amorcée dès le début du siècle, a déjà causé là-bas des dégâts considérables : l’illettrisme y est un vrai fléau et les écoles privées, bien entendu, prospèrent.

Un exemple de constructivisme appliqué à l’apprentissage de la lecture à l’école primaire, c’est la méthode dite globale ou mixte (on sait à présent qu’elle a fabriqué et fabrique des dyslexiques en série [2]) : on photographie les mots dans leur globalité, l’enfant devine au lieu de lire. Cette méthode s’oppose aux méthodes syllabiques, qui elles vont toujours du simple au complexe en montrant progressivement les différentes associations de lettres qui permettent de composer des syllabes : b et a font ba. Avec les méthodes globales on devine, avec les méthodes syllabiques, qui font logiquement prévaloir la règle générale sur l’exception, on comprend. C’est grâce aux méthodes à départ global ou autres avatars, qu’un élève de sixième prendra étourdiment la reine Didon pour un dindon lors d’un exercice de lecture…

On nous dit aujourd’hui, après les ravages, que la méthode globale est proscrite. Il va falloir s’en assurer.

L’état d’esprit, en tout cas, qui préside à cette méthode, sévit encore, lui, à tous les étages de l’enseignement : de façon générale, dès qu’il n’y a plus d’enseignement rigoureux, qu’on perd son temps à " faire découvrir " au lieu d’enseigner, qu’on se refuse innocemment ou malignement aux exercices patients , systématiques et progressifs qui coûtent de la peine aux professeurs et aux élèves, mais aussi du plaisir, on peut parler de méthode " globale " et de constructivisme.

Idéologie pernicieuse, on le voit, qu’on retrouve au fondement des itinéraires de découvertes. Car l’idée est la même : premier postulat, l’enfant s’ennuie quand il apprend, donc il faut qu’il s’amuse (principe de plaisir immédiat) et qu’on lui propose désormais des " activités " pour qu’il puisse construire lui-même " son projet personnel ". L’interdisciplinarité n’étant que l’alibi d’un renoncement à instruire tout le monde convenablement.

Jamais évaluées, ces méthodes pourtant déjà à l’œuvre se sont révélées inefficaces et dangereuses pour la majorité des élèves. Elles portent en elles une forme d’élitisme insupportable car ce sont les élèves en difficulté ou de milieux défavorisés qui en font les frais. Halte, donc, M. le ministre, aux " méthodes " qui fabriquent de l’illettrisme, à l’utopie maligne et d’essence totalitaire qui cherche à fabriquer un  homme nouveau  avec une école nouvelle. L’école doit inventer son avenir, oui, mais pas pratiquer la politique de la table rase et de la liquidation des héritages. Un élève ne peut reconstruire par lui-même ce que l’humanité à élaboré depuis des siècles.

Pour nous les itinéraires de découvertes ne sont qu’un gadget de plus : la trucologie pédagogistes en sort toujours de nouveaux, selon la mode du moment, qui viennent périmer les anciens. Toute nouveauté est nécessairement bonne en soi jusqu’à ce que cette nouveauté bascule immanquablement dans l’abîme de l’ancien et soit de ce fait seul invalidée. Ce jeu n’est plus supportable et le " bougisme " [3] pédagogiste (le pédagogisme n’est pas la pédagogie) s’exerce au détriment de nos élèves.


Méconnaissance des élèves et du terrain

Mais après avoir dégagé l’idéologie douteuse qui les sous-tend, revenons aux conséquences pratiques de la mise en place des itinéraires de découvertes.

D’abord et avant tout, les itinéraires de découvertes impliquent presque partout l’utilisation des horaires-planchers dans les disciplines fondamentales : moins de français, moins de maths, moins d’histoire, alors que depuis trente ans les horaires baissent. L’exemple du français (puisque M. Ferry se propose de combattre l’illettrisme) est éloquent. Entre les réformes de 1972 et 2002 (introduction des itinéraires de découvertes au cycle central), un élève de sixième a perdu de une heure à une heure et demie de cours de français chaque semaine ; un élève de cinquième pourra avoir perdu jusqu’à deux heures ; un élève de quatrième, une heure ; et enfin un élève de troisième une demi-heure. La vérité est que d’un collège à l’autre les horaires ne seront pas les mêmes puisqu’on déréglemente et qu’on " contractualise " les moyens. A cela vient s’ajouter le fait que les itinéraires de découvertes signent la disparition progressive du groupe-classe (pas assez fun ?) alors que chacun sait que les jeunes, singulièrement ceux d’aujourd’hui, ont besoin de repères et de structures qui aident à la socialisation et sécurisent. Les itinéraires de découvertes c’est aussi l’enseignement en libre-service, induisant des disparités dans le traitement des programmes, devenus flous : c’est l’enseignement de l’inégalité. Les itinéraires de découvertes, enfin, jettent le discrédit sur le " cours " qui pourtant intègre depuis longtemps l’interdisciplinarité intelligente, la maïeutique stimulante, les méthodes actives, même s’il n’a pas l’heur d’être un " atelier ". L’enseignant ne saurait se transformer en animateur polyvalent, le principe de plaisir immédiat ruinant le principe d’effort. Est-ce, comme le dénonçait récemment M. Darcos [4], l’école du " happening " et du " do it yourself ! " qui doit prévaloir ? Ce n’est pas une démarche autonome des élèves qu’on promeut mais bien une pédagogie du divertissement qui trouve qu’il y a toujours trop d’école à l’école.


Le retour de Cro-Magnon

Pédagogie du divertissement, donc. Mais l’on va nous dire que l’on exagère et que les itinéraires de découvertes ne sont pas aussi ludiques que cela, qu’ils s’ " ancrent "(disent les directives officielles) dans les programmes. Tournons nous alors vers les documents d’accompagnements (documents officiels qui explicitent la réforme). Ils sont parus quand M.Lang était ministre et n’ont pas encore, à ce jour, été invalidés ni n’ont fait l’objet d’une refonte. Voilà ce qu’ils disent :

"Les itinéraires de découvertes donneront lieu à une production, réalisée individuellement ou collectivement : création d'un objet particulier, d'une maquette, d'un cédérom

Idées de réalisations et de production : 1.Nature et corps humain.

Thème : à la découverte de nos origines.
- Réalisation d'outils préhistoriques à partir d'os, de silex (bifaces)
- Représentation d'un homme de Neandertal en pied ; d'un homme de Cro-Magnon.

Thème : à la découverte du corps humain
- Réalisation d'une maquette fonctionnelle de muscle.

Idées de réalisations et de productions : 2.Arts et humanités.

Thème : la vie de château
- Plans et maquettes
- Défilé de costumes médiévaux sur des musiques d'époque.
- Mise en scène d'une veillée médiévale avec troubadours, musiciens, jongleurs et conteurs
.

Thème : la place de la foi
- Exécution d'une polyphonie sacrée médiévale.

Idées de réalisation : 3.Langues et civilisation.

Thème : Etre adolescent en Europe.
- Exposition, défilé de mode...

Thème : les tracés de l'Europe
- Film constitué avec d'autres collèges établis le long du même fleuve.[5]"

A la lecture de ces documents d’accompagnement, on oscille entre fou rire et consternation : leur ambition se trouve en effet quelque part entre Disneyland et le CNRS : soit on mène à bien ces projets sophistiqués (et souvent farfelus) avec d’excellents élèves ultra-motivés et ayant une culture générale déjà impressionnante (on se doute que ce n’est pas forcément le cas de la plupart…) et tout peut presque se passer pour le mieux, soit on a une classe d’élèves ordinaires et les projets s’échouent dans un " joyeux bordel " (c’est là l’expression qu’emploient les lycéens pour qualifier les TPE au lycée…). Le ridicule de Cro-Magnon est alors consommé. Nous ne parlerons même pas des élèves en difficulté…Parce que l’inter-trans-pluri-méta-disciplinarité c’est très beau, mais quand les élèves ont des lacunes, l’ambition louable de relier les connaissances n’aboutit qu’à relier des lacunes.

Mais le summum du burlesque est atteint définitivement quand on apprend que les productions " individuelles ou collectives " sont censées être évaluées (i.e.notées) rigoureusement (sic) et que les notes compteront à l’examen de fin de troisième : le brevet nouvelle formule qui sera tellement plus exigeant que l’ancien ! On ne dit pas si le professeur, ou plutôt le gentil animateur, rentre chez lui avec trente hommes de Cro-Magnon(ou un seul collectif ?) en carton bouilli dans son cartable, pour pouvoir les corriger et les noter…Quelle valeur certificative accorder à des notes qui seront, n’en doutons pas, fantaisistes ou complaisantes ?


La complexité et l’interdisciplinarité intelligente : perspectives

Est-ce que l’école doit vraiment faire place au centre de loisir ou dans le meilleur des cas au centre culturel ? Quelque part entre érudition boulimique et superficialité touristique ? Emancipé de ses tuteurs gênants que sont les maîtres les élèves doivent-ils construire seuls leur propre savoir, comme on l’enseigne parfois aux futurs enseignants ? Est-ce là l’école que l’on veut si comme l’affirme M.Ferry tout ne doit plus s’ordonner autour de l’élève comme l’affirmait la loi d’orientation Jospin de 1989 [6], si la transmission des connaissances doit être remise au centre, l’élève remplacer l’enfant ? De l’état des lieux sans concessions auquel se livre le ministre, s’agissant notamment de l’illettrisme, doit-on conclure, qu’il faut sans délai mettre en place le dispositif des itinéraires de découvertes qui palliera toutes les carences ? Non, bien évidemment. Les itinéraires de découvertes entraîneront un peu plus de démotivation, d’incivilités, un peu moins d’aptitude à la concentration et à l’esprit critique, toujours moins de repères culturels.

En fait les itinéraires de découvertes, s’ils étaient maintenus, signeraient la victoire de la " révolution cuculturelle "[7] et la philosophie de la " rénovation permanente " prendrait le pas sur une temporalité plus lente, plus réfléchie et plus riche, donc plus inventive. Dans l’acte d’apprendre et d’enseigner on a un peu oublié qu’il y avait des constantes anthropologiques à retrouver, faute de quoi nos élèves essuieront sans trêve les lubies des " scientifiques " de l’éducation : il faut renouer avec un humanisme de l’enseignement.


Mais la véritable objection concerne l’intérêt légitime pour la transdisciplinarité et la complexité chère à Edgar Morin. Aujourd’hui les problématiques sont globales et il faut toujours garder le souci de la contextualisation. Mais alors, ne faut-il pas sortir des frontières des disciplines, sortir du découpage du temps scolaire en temps disciplinaire, décloisonner et décompartimenter au maximum ? Nous pensons qu’on fait là un mauvais procès aux disciplines scolaires qui ne se sont pas constituées au hasard mais sont le fruit d’une évolution. Cela ne nous empêche pas de lire Edgar Morin et de partager ses préoccupations : " Comme notre éducation nous a appris à séparer, compartimenter, isoler et non à relier les connaissances, l’ensemble de celle-ci constitue un puzzle inintelligible. Les interactions, les rétroactions, les contextes, les complexités qui se trouvent dans le no man’s land entre les disciplines deviennent invisibles. (…) L’incapacité d’organiser le savoir épars et compartimenté conduit à l’atrophie de la disposition mentale naturelle à contextualiser et à globaliser. " [8] Ou encore : " L’intelligence parcellaire, mécaniste, disjonctive, réductionniste, brise le complexe du monde en fragments disjoints, fractionne les problèmes, sépare ce qui est relié, unidimensionnalise le multidimensionnel . " Tout cela est très vrai et nous plaidons pour la même rationalité ouverte soucieuse de ne pas évacuer la contradiction et méfiante à l’égard des concepts réducteurs qui mutilent le réel. Mais si la science occidentale doit en effet sortir du paradigme de simplification, qui l’a tout de même guidée depuis le XVIIème siècle (On pense à Descartes et aux idées " claires et distinctes "), en est-il de même de l’école ? Doit-elle, en l’état actuel, alors que tous les clignotants sont au rouge, que le processus de massification montre ses limites, s’affranchir allègrement et totalement de ce paradigme (de simplification) ? Nous sommes persuadés du contraire et ce n’est pas du tout le propos d’Edgar Morin. La complexité doit d’ailleurs elle même intégrer comme dans un effet de boucle un retour au simple ou au simplifié. Il s’agit d’une dialectisation permanente et non d’une complexité dogmatique.

Et puis à trop vouloir " décloisonner ", on risque étourdiment d’abattre un mur porteur et de prendre le plafond sur la tête.

Quelle sont les priorités de l’école ? Ce qui est souhaitable pour la recherche, l’enseignement supérieur est-il nécessairement bon pour l’école ? Bref et en d’autres termes, faut-il mettre la charrue avant les bœufs ? Il ne s’agit pas d’être fermé à la modernité, aux nouvelles technologies, par exemple, mais de conserver des cadres suffisamment souples qui permettent une interdisciplinarité intelligente. Qu’est-ce qu’une interdisciplinarité intelligente ? A la lumière de l’expérience, c’est celle que l’on n’impose pas mais que les enseignants et les élèves choisissent. Elle suppose une équipe, des complicités, une envie, une même motivation qui ne va pas à l’encontre de la liberté pédagogique de chaque enseignant. Elle exige des petits groupes d’élèves (pas des effectifs pléthoriques) et des moyens financiers. Elle se fait la plupart du temps dans le cadre des cours et peut associer tantôt deux, trois, ou davantage de professeurs. Elle ne constitue ni une priorité ni une urgence, ne nécessite pas systématiquement comme on voudrait nous le faire croire, une " évaluation ".C’est une interdisciplinarité qui s’adapte au terrain et répond d’abord aux attentes des élèves et de leurs familles.

En réalité, les moyens, si on nous en donne (il serait très préjudiciable que l’école aille vers une période de vache maigre) devraient se déployer sur de vraies priorités : des horaires disciplinaires décents, des dédoublements de classe, des dispositifs d’études dirigées, des postes de professeurs titulaires et de surveillants, du matériel informatique digne de ce nom, etc.

Comment peut-on lutter contre l’illettrisme, et, sous couleur d’interdisciplinarité, diminuer le volume horaire des apprentissages ? On sait pourtant depuis le rapport de l’IG Jean Ferrier que " la qualité des apprentissages et les progrès des élèves sont en relation directe avec le temps consacré aux apprentissages. " Jean Ferrier notait aussi que " le scolaire se dilue dans le social  voire dans le récréatif " et dénonçait " le nombre croisssant de sorties scolaires " ou " les délégations abusives de compétences faites à des intervenants extérieurs. ". Ce qu’il disait alors pour l’école primaire est aussi vrai pour le collège. Ce n’est pas en maintenant les itinéraires de découvertes qu’on garantira une vraie qualité à l’école. C’est un projet qui contient en germe toutes les dérives. Si s’opposer à une régression et finalement à une démission (les " nouveaux publics ", comme on dit , exigeant qu’on abandonne le beau projet de Condorcet et de Jules Ferry) c’est être conservateur, alors nous nous voulons bien conservateurs sur ce chapitre, à l’instar d’Hannah Arendt [9].

N’en doutons pas, les Itinéraires de découvertes sont les itinéraires du chaos dans les têtes. Veut-on que des collégiens continuent à s’exclamer devant une Vierge à l’enfant, au musée du Louvre " Qui c’est, cette meuf ?! "  [10] ? Que des lycéens de section littéraires écrivent la guerre de " Troyes ", convoquent les demi-dieux grecs pour expliquer la Genèse ? Qu’ils n’hésitent pas une seconde à déclarer que Louis XIV régnait en 1835 ? Alors, il faut leur faire construire en effet des maquettes de chateaux-forts ou les faire défiler en costume d’époque (cf. Documents d’accompagnements) ou bien encore les laisser des heures tout seuls face à un ordinateur (non pas dans le cadre du CDI, ce qui serait tout à fait normal ! mais dans le cadre des heures d’enseignement).

L’élève qui  construit lui même ses propre savoirs , qui choisit (démocratiquement ? [11])ses objets d’étude et son programme, les pédagogues de terrain, pragmatiques, avant tout préoccupés de la didactique de leur discipline et de tous les aspects psychologiques et éducatifs du métier, cette démagogie là, ils en ont soupé ! L’autodidaxie peut-être une bonne chose mais il faut savoir l’utiliser à bon escient, en temps, en heure et surtout en lieu. Elle inquiète d’ailleurs la plupart des élèves qui l’entendent comme un refus d’enseignement auquel ils considèrent à juste titre avoir droit. Le public populaire, en particulier est demandeur de savoir et de promotion et c’est lui qui trinque le plus face aux pseudo-innovations. Cette demande, si l’école de la république n’est pas près de la satisfaire, alors les marchands s’en chargeront. C’est ainsi que fleurissent sur internet, dans le temps que l’école s’amuse, des boîtes de soutien scolaires (avec abonnement payant…) proposant de bons vieux exercices de mathématiques, de bonnes vieilles fiches méthodologiques et autres memos. A moins de prendre les marchands pour des imbéciles, il faut croire que l’étude de marché préalable a révélé que parents et élèves étaient très preneurs, friands même, de pédagogie surannée, en réalité tout bonnement d’une pédagogie qui enseigne quelque chose plutôt que rien. Cette pédagogie là sera toujours moderne et toujours à inventer, oui.

L’école, M. le ministre, ne doit pas devenir un grand foyer socio-éducatif, une machine à broyer qui considère l’effort et la réussite individuelle comme une mauvaise action dirigée contre ceux qui ne réussissent pas. Elle ne doit pas diluer sa vocation et son être. Préférer, s’agissant de ce qu’il est apporté à nos élèves, l’excitant à l’aliment. Le rétablissement d’un vrai ascenseur social est au prix d’une école de la qualité pour tous et non d’un " lieu de vie ".


En 1999 Lilianne Lurçat écrivait : " L'école française est devenue l'école des sciences de l'éducation. Dans cette école, les sociologues et les pédagogistes rejettent la singularité de la personne au nom de déterminismes liés principalement à l'origine sociale. Dans les IUFM on prétend former des professionnels de l'enseignement, sans tenir compte des disciplines à enseigner. En réalité la pédagogie n'est pas séparable des connaissances à transmettre, elle prend des formes différentes selon les disciplines. A l'inverse, le pédagogisme sépare la pédagogie des disciplines, il veut se situer au-dessus des connaissances à transmettre, auxquelles il substitue un arsenal de techniques et de procédés. " [12]

Le maintien des itinéraires de découvertes, M le Ministre, donnerait définitivement raison à L.Lurçat. Mais l’école française doit-elle devenir " l’école des sciences de l’éducation " ?


Antoine Desjardins

10/2003


1. La destruction de l'enseignement élémentaire fait partie de la destruction du monde,par Liliane Lurçat Conférence du 19 mai 2001 à la Sorbonne. On lira aussi Vers une école totalitaire ? Paris, Ed. F.-X. Guibert, 1999. L. Lurçat est chercheur au CNRS.
2. Colette Ouzilou, Dyslexie, une vraie fausse épidémie, Presses de la Renaissance, 2001.
3. Résister au bougisme, Pierre-André Taguieff, Mille et une nuits, 2001. On y lit notamment ceci pp 75-76 : " Le bougisme est le degré zéro du progressisme, ce qui reste du progressisme lorsqu’on a éliminé de celui-ci son rapport aux fins de l’humanité. Mais il fonctionne en même temps comme un ultra-progressisme, en tant que machine à détruire toute trace de passé et à légitimer sa totale éradication "
4. M. Darcos, qui fut doyen de l’Inspection générale de lettres, écrivit naguère chez Plon (2000), un Art d’apprendre à ignorer qui contenait des vérités bien senties. Ne réclamait-il pas pour l’école " un corpus hiérarchisé des savoirs " ? N’y dénonçait-il pas "  la nostalgie inutile  " mais aussi "  la mystique du présent " , rappelant le mot d’Auguste Comte qui disait que "  l'humanité est faite de plus de morts que de vivants " ? . N’invitait-il pas à restaurer quelque peu "  l’autorité du maître " et à se défier des " pédagogues professionnels ", dont la " science exacte " ne convainc pas ?
5. Source : www.eduscol.education.fr/D0072/lettrejournee.htm
6. On peut lire ces propos intéressant sous la plume d’un ami du ministre, André Comte-Sponville dans le numéro spécial de Témoignage Chrétien /Réforme, janvier 2003 : " Il faut mettre l'enfant au cœur du système ? Cela signifie installer au cœur de l’école celui qui ne sait pas. Ce qui est paradoxal pour un lieu d'instruction ! Dans un lieu d'instruction ... c'est au contraire celui qui sait qui doit se retrouver au centre : le maître. De même pour la célébration perpétuelle de la spontanéité, de la créativité. Faire apprendre par coeur une récitation ou une règle de grammaire me paraît plus important que de pratiquer uniquement l'éveil, ce qui revient à ne faire à l'école que ce que l'enfant ferait aussi bien chez lui ... "
7. "La révolution cuculturelle à l'école", par Alain Finkielkraut, Le Monde, 18 mai 2000.
8. Les sept savoirs nécessaires à l’éducation du futur, Seuil, 2000.
9. " Évitons tout malentendu : il me semble que le conservatisme, pris au sens de conservation, est l'essence même de l'éducation, qui a toujours pour tâche d'entourer et de protéger quelque chose- l'enfant contre le monde, le monde contre l'enfant, le nouveau contre l'ancien, l'ancien contre le nouveau. Même la vaste responsabilité du monde qui est assumée ici implique bien sûr une attitude conservatrice.(…) C'est justement, pour préserver ce qui est neuf et révolutionnaire dans chaque enfant que l 'éducation doit être conservatrice ; elle doit protéger cette nouveauté et l'introduire comme un ferment nouveau dans un monde déjà vieux qui, si révolutionnaire que puissent être ses actes, est, du pont de vue de la génération suivante, suranné et proche de la ruine. " Hannah Arendt , La crise de la culture, Folio essais ,1989.
10. Cité par Elisabeth Lévy in Marianne n°325 du 14 juillet 2003 ("Faut-il enseigner le fait religieux à l’école ?")
11. Toujours André Comte-Sponville :"  ... à l'école non plus (comme dans la famille) ce n'est pas la démocratie. On ne peut pas voter pour savoir si 2 + 2 font 4 ou 5. Ni pour savoir si on va faire des maths ou regarder la télévision. A l'école le pouvoir n'est pas à prendre. [ ... ] L'école souffre de deux modèles importés, de façon illégitime, en dehors de leur ordre : le modèle démocratique, qui fait croire aux jeunes que tout se négocie, que tout se discute, tout se vote. Ils ne supportent plus qu'on leur impose quelque chose : rester assis en silence leur paraît, à la limite, contraire aux droits de l'homme. L'autre modèle, c'est le modèle consumériste : puisqu'on vit dans une société de marché, ça me plaît, je prends ; ça ne me plaît pas, je ne prends pas. Si on introduit ces deux modèles ... vous avez des enfants qui se prennent pour des citoyens et des consommateurs. Or le peuple est souverain et le client est roi. Mais si les élèves sont souverains, il n'y a plus d'école possible. " Témoignage Chrétien /Réforme, janvier 2003.
12. Article paru dans Philosophie politique ,"Ecole et démocratie", n°10, P.U.F, novembre 1999.