Le bûcher des humanités



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Michèle Gally

Le bûcher des humanités

Le sacrifice des langues anciennes et des lettres est un crime de civilisation !

Armand Colin, avril 2006, 196 pages.


[ Quatrième de couverture : ]

Humanités : un vocable « ringardisé », pour une réalité désormais presque « hors-la-loi », comme le prédisait Calvino. Le latin, le grec... on peut vivre sans ? Admettons ! Mais la formation des esprits à la compréhension intime des textes, la relance, à chaque génération, de notre culture fondatrice ? Trouver cela inessentiel en dit Long sur notre aplatissement intellectuel et moral.

Michèle Gally rend compte avec une lucidité qui fera grincer bien des dents d'une marginalisation progressive, d'une éviction éducative qui s'est parée d'oripeaux « égalitaristes » et « modernistes », mais a joué le jeu de la déculturation. Son grand mérite est de dépasser toute position « réactionnaire » et de montrer que l'étude des lettres anciennes (et de la littérature) reste l'un de nos derniers recours pour résister à un air du temps de plus en plus aliénant.

Parce que ces lettres, précisément, sont non modernes ? Sans aucun doute. Mais aussi parce que notre démocratie n'est pas inscrite dans la nature, elle est la fille « accidentelle » des noces de l'Antiquité et de l'Humanisme. Sa survie, à l'heure de la confluence au sein de la Nation d'une diversité inédite des origines, passe aussi par l'offre, à notre jeunesse, d'un ensemble élargi de références et de pratiques culturelles à partager.

Agrégée de lettres classiques, ancienne élève de l'ENS de Fontenay, Michèle Gally est actuellement maître de conférences à l'École normale supérieure lettres et sciences humaines.

[Introduction : Parier sur le paradoxe, pp. 1-2]

«Humanités», au pluriel, est un mot difficile à employer. On crée la surprise en le prononçant et on provoque souvent un sourire ironique ou une moue de commisération chez ses meilleurs amis. Dans les conférences de «l'Université de tous les savoirs» qui ont salué notre entrée dans le IIIe millénaire de l'ère chrétienne, seul Marc Fumaroli le place dans son titre et au centre de son propos. Mais il est vrai que, professeur au Collège de France, membre de l'Académie française et de l'Académie des inscriptions des belles-lettres, il en est, en quelque sorte, le dernier représentant légal. Malgré son immense culture et la pertinence de certaines de ses remarques, il en est aussi, en dépit de lui sans doute, la caution institutionnelle, celle qui permet de faire croire que les Humanités académiques ont encore une place dans le champ des savoirs.

Bien petite place quand, dans ce même Collège de France, un colloque de trois jours sur «Science et conscience européenne» (25-27 novembre 2004) ne consacre même pas une demi-journée aux «Humanités» mais à «L'Europe des Humanités et des Sciences sociales» où, à nouveau, seul le même Marc Fumaroli parle de la «République des Lettres». Les autres intervenants de l'«Université de tous les savoirs» qui ont parlé de littérature et de poésie – A. Compagnon, Y. Bonnefoy, G. Genette et M. Deguy – se retrouvent dans le volume L'Art et la Culture. On ne saurait mieux dire que le terme est décidément peu mode, et que l'objet qu'il désigne appartient aux espèces en voie de disparition.

Combat d'arrière-garde donc que de parler d'un concept dépassé ? Nous y voici.

«Humanitaire», en effet, est mieux porté, quant à «humanisme», si même parfois il rejette dans l'ombre «Renaissance», c'est à la faveur d'un certain flou dans sa définition et d'une sorte d'expansion qui lui permet de faire couple avec «humanitaire» plutôt qu'avec «Humanités». Il serait bon d'abord de rappeler qu'«humanisme» est un terme du XIXe siècle, pas du XVIe siècle : Erasme ne se désignait pas comme un «humaniste». Mais qui, aujourd'hui, ne se dit pas «humaniste» : le terme, surtout non défini, n'est-il pas politiquement correct ? Cependant «Humanisme » ne désigne pas seulement un souci de l'homme, de sa condition, de son bien, mais la rencontre entre le sujet humain, mis au centre des préoccupations, et les productions de pensée, d'écriture, de culture qui le constituent. S'y engage une définition de l'homme à travers des valeurs intellectuelles de savoirs. L'humanisme ne vise pas la philanthropie mais la liberté de l'homme par la connaissance. Une connaissance profane, dont les ferments pour les hommes du XVIe siècle comme pour leurs successeurs se trouvaient dans l'héritage antique gréco-latin – les «Humanités». L'humanisme, dans l'histoire de notre civilisation, ne peut se déprendre de ce lien vivant au passé qui fonde sa définition de l'universalité et sa vision du monde où la personne humaine – sa liberté, son autonomie, sa dignité – est valorisée en regard de toute cosmologie, théologie ou métaphysique.


À lire aussi l'intervention de Michèle Gally lors de l'université d'été 2005 : Les humanités : une formation et un savoir.

06/2006