Communiqué de presse du 21 janvier 2008

Laïcité : le grand bond en arrière de M. Sarkozy.

Le Collectif Sauver les lettres défend une conception de l’école et de l’enseignement des lettres héritée de Condorcet et des Lumières. Il s’élève donc avec la plus grande fermeté contre les déclarations réitérées du Président de la République faisant entorse à la laïcité et au respect de la séparation de l’Eglise et de l’Etat.

Sauver les lettres rappelle qu’il s’est constitué contre la promotion de l’opinion dans les épreuves du baccalauréat de français au détriment des exercices de réflexion et d’argumentation logique, et contre les pédagogies qui cherchent à susciter l’accord, voire l’enthousiasme des élèves, par la libération des émotions et l’adhésion irrationnelle à une opinion.

Or, dans un récent discours [1], le Président a affirmé que " dans la transmission des valeurs et dans l’apprentissage de la différence entre le bien et le mal, l’instituteur ne pourra jamais remplacer le pasteur ou le curé, parce qu’il lui manquera toujours la radicalité du sacrifice de sa vie et le charisme d’un engagement porté par l’espérance ". Ce faisant, il a mis en doute, avec un passéisme inédit, la valeur formatrice de l’école publique et laïque appuyée sur cet esprit des Lumières.

La " transmission des valeurs " et " l’apprentissage de la différence entre le bien et le mal " dont " le pasteur ou le curé " auraient l’exclusivité ne peuvent être qu’un catéchisme appuyé sur l’adhésion et la manipulation, sans un apprentissage préalable de la réflexion et de l’esprit critique formé par l’habitude du jugement, dont les instituteurs et les professeurs de l’enseignement public sont les promoteurs et les garants.

En effet la rationalité méthodiquement acquise dans l’école de la République, partant du postulat d’Helvetius (" tant qu’ils s’obstineront à regarder les cieux, les hommes trébucheront sur terre "), cherche précisément à mettre les élèves à l’abri de la " radicalité " et des " charisme(s) " dont les dérives passionnelles sont un danger pour les valeurs républicaines. Et cette lucidité méthodique sur le monde et sur les autres n’a pu naître qu’en s’émancipant de la tutelle des croyances et de la foi. Seuls des esprits libres, délivrés des préjugés et des pressions sans fondement par un enseignement émancipateur de la langue et de la culture, peuvent choisir en connaissance de cause et revendiquer les " valeurs " ; seules des consciences éveillées à la pensée critique sont capables de discerner " la différence entre le bien et le mal ". Seule la raison, commune à tous les hommes, peut construire un véritable universalisme des valeurs.

Si cette attaque rétrograde du Président de la République contre l’enseignement primaire et secondaire public et laïque n’est encore que verbale et sans traduction institutionnelle, il n’en est pas de même pour l’enseignement supérieur. A Rome, M. Sarkozy a en effet explicitement menacé le monopole de la collation des grades dévolu à l’Etat républicain laïque français : " " Aujourd’hui encore, la République (…) répugn(e) à reconnaître la valeur des diplômes délivrés dans les établissements d’enseignement supérieur catholique alors que la Convention de Bologne le prévoit, n’accord(e) aucune valeur aux diplômes de théologie" [2] Le baccalauréat lui-même, premier grade de l’enseignement supérieur, n’est ainsi pas à l’abri d’une mainmise confessionnelle.

Sauver les lettres exprime au contraire son attachement à l’article Ier de la Constitution qui définit la République française comme " laïque, démocratique et sociale ". Ainsi est garanti un enseignement fondé sur la raison, ouvert à tous sans distinction de religion, et seul caution de liberté de conscience et d’égalité sociale. Ainsi est garanti un enseignement serein et libre de la littérature, par nature provocatrice et rebelle à l’autorité et aux dogmes, qui ont toujours cherché à la juguler et la condamner – n’oublions pas l’Index.

Sauver les lettres demande donc que soit solennellement et explicitement rappelé que l’enseignement des humanités et de toutes les disciplines ne peut se faire sereinement que dans un climat dégagé de toute croyance, toute religion, toute pression, toute irrationalité. Et que l’école de la République, laïque et obligatoire, ne doit pas catéchiser les élèves, mais donner à chacun d’entre eux les moyens d’acquérir un esprit libre, lucide et réfléchi, capable du jugement avisé indispensable aux choix personnels, sociaux et politiques.

Collectif Sauver les lettres.


1. Allocution de Nicolas Sarkozy au Palais du Latran à Rome, 20 décembre 2007.

2. Idem.