Communiqué de presse du 12 décembre 2006

Rapport sur la filière L : comment soigner en tuant le malade.

Le collectif Sauver les lettres a pris connaissance du rapport de l’IGEN, Evaluation des mesures prises pour revaloriser la série littéraire au lycée ".

Nous prenons acte du constat d’une " baisse réelle du niveau de la plupart des classes de L " (p.24) dont les auteurs signalent le pendant : la baisse de niveau de la filière scientifique, devenue très " généraliste " (p.29), et dans laquelle grâce au jeu des coefficients " un élève peut réussir passablement et obtenir son baccalauréat avec des notes médiocres dans les matières scientifiques. Ceci explique sans doute en partie la crise du recrutement scientifique à l’université. " (p.44).

L’Inspection générale voit dans le déclin de la série L des causes sociologiques et non scolaires, et propose de faire coïncider plus nettement la filière littéraire avec ses débouchés professionnels, au besoin en faisant miroiter des contenus aux titres clinquants propres à attirer les familles.

Ce rapport en effet ne remet pas un seul instant en cause les réformes déjà infligées au français en primaire, au collège et au lycée, qui en réduisant les horaires au-delà du raisonnable, en interdisant tout apprentissage progressif et structuré de la grammaire, de l’orthographe et du vocabulaire, en desséchant la découverte des textes par des approches technicistes, ont détourné les élèves de la matière. Au contraire, il argue de la " réussite " de ce démantèlement pour continuer le massacre.  Ses auteurs en ont pourtant conscience lorsqu’ils écrivent, à propos des dernières réformes, qu’elles ont " aggravé le décalage […] entre les ambitions de la voie littéraire et le niveau socioculturel et linguistique d’une majorité des adolescents […] accueillis en L " (p.28). Pourquoi accabler les élèves de déficit social, quand il est dû à l’institution ? Pourquoi ne pas proposer le rétablissement des horaires permettant une " bonne maîtrise de la langue " alors qu’on sait qu’ils ont fondu de quelque 800 heures sur les neuf années de formation précédant le lycée ? Pourquoi, alors que les élèves réclament du sens, ne pas recentrer les programmes sur les oeuvres littéraires elles-mêmes et non sur un catalogue de discours, de genres et de registres techniques ? Pourquoi, enfin, réserver l'enseignement des langues anciennes à une élite, alors qu'elles pourraient constituer le pilier d'une formation grammaticale et littéraire rigoureuse ?

Les solutions proposées ne peuvent donc pas surprendre : puisque la littérature " [nécessite] une bonne maîtrise de la langue "(p.28) qui n’a pu être acquise par le plus grand nombre, autant proposer une série L qui ne serait pas centrée sur les Lettres !

Le rapport s’adapte ainsi à la situation que les réformes ont créée de toutes pièces, et propose de faire disparaître le français et la littérature dans des options aux titres ronflants qui sacrifient à la mode du jour. En prétendant satisfaire une demande sociale,  il répond aux projets ministériels : d’une part une stricte orientation des élèves selon les besoins du marché, d’autre part la fusion des enseignements dans des blocs pluridisciplinaires sans garantie de savoirs précis, s’adaptant parfaitement aux projets de changement du statut des professeurs, qu’on chargerait d’enseignements autres que leur discipline de recrutement. Et les auteurs de proposer ainsi (p.75) cinq " dominantes " ou " pôles " à répartir entre établissements d’un même " bassin de formation " : " Littératures et civilisations " (" Il s'agirait là du pôle proprement littéraire et " classique " "), " Arts et culture ", " Communication et maîtrise des langages ", " Sciences humaines ", " Institutions et droit ". " Des dominantes de ce type auraient l'avantage d'inciter les établissements à s'ouvrir à leur environnement et à travailler en lien étroit avec des partenaires locaux, ces partenariats contribuant à définir le profil de chaque lycée : établissement d'enseignement supérieur, institution ou entreprise culturelle, organe de presse, institution internationale ou judiciaire, collectivités territoriales… " Foin d’une culture du passé, coupée de son environnement, il s’agit de passer aux " humanités modernes " (p.89)…

En reconnaissant la nécessité absolue de préparer les élèves à leur avenir, Sauver les lettres pense au contraire qu’une formation générale littéraire, fondée sur une maîtrise accrue du français acquise dans des horaires suffisants, une connaissance approfondie de la littérature, et un éveil à la pensée critique, est la meilleure garantie qui soit pour former des humanistes " modernes ".

Sauver les lettres refuse une professionnalisation trop précoce des lycéens de Seconde, et condamne des propositions qui sous couvert de ne traiter que de la filière littéraire, prévoient une réorganisation du lycée selon des perspectives proches de celles du socle commun, qui diluent les enseignements sous des regroupements flous, et, sous les " pôles " d’enseignement par lycée et par académie, menacent le caractère national des programmes et des diplômes tout en réduisant la formation à des perspectives étroitement utilitaristes, sans recul réflexif.

Loin de penser que " les nouvelles pratiques interdisciplinaires représentent […] un véritable espoir pour les disciplines littéraires qui, par nature, s’épanouissent dans la transdisciplinarité " (p.50), Sauver les lettres rappelle son attachement à un enseignement approfondi des matières, seule caution de véritables savoirs, et à une organisation de l’école qui propose aux élèves, sur tout le territoire, une formation généraliste de qualité permettant l’accès ultérieur à des études variées.

Collectif Sauver les lettres.