Communiqué de presse du 02/04/2003


Académie de Rouen
Le recteur recule
et renonce à sanctionner pour délit d’opinion Agnès Joste,
membre du collectif Sauver les lettres, auteur de
Contre-expertise d’une trahison : la réforme du français au lycée
(éd. Mille et une nuits)

1. LES FAITS :

11 février 2003 : Agnès Joste, professeur de lettres classiques au lycée Claude Monet du Havre, membre du collectif Sauver les Lettres, est sanctionnée lors de la Commission paritaire académique (CAPA) qui examine les candidatures à l’accession à la " hors-classe " des professeurs agrégés. Postulant de façon légitime, depuis plusieurs années comme c’en est l’usage, Agnès Joste avait jusqu’alors toujours bénéficié d’avis favorables. En 2003, elle reçoit un avis défavorable pour " avoir tenu des propos et rédigé des écrits hostiles à la réforme des programmes de français au lycée. "

Il ne lui est fait aucun reproche professionnel (bien au contraire : tous ses rapports d’inspection sont élogieux)… mais elle vient de publier en octobre 2002 un livre très critique à l’égard de la réforme des programmes de français au lycée.

À l’énoncé de cet avis défavorable les délégués syndicaux demandent des explications. Un inspecteur pédagogique régional de lettres présent les fournit. Il explique qu’il existe sur ce professeur un rapport dont il est l’auteur. Il admet cependant n’avoir jamais inspecté Agnès Joste.

Il déclare que dans un livre récent (Contre-expertise d’une trahison), sur le site du collectif Sauver les lettres, et dans des propos tenus au micro de France 3, elle s’oppose de façon incessante aux diverses réformes qu’il a, comme inspecteur, la charge de mettre en œuvre, ainsi qu’à l’application des instructions ministérielles (elle " efface " tout ce que je fais, se lamente-t-il). Cet inspecteur évoque aussi l’existence d’une pétition signée il y a deux ans (!) par Agnès Joste et les professeurs de lettres de son lycée.

Les élus enseignants SNES, FO, SGEN, SNALC effarés du caractère inique de cet avis défavorable, demandent unanimement, dans un premier temps, au recteur de l’académie de Rouen de reconsidérer son avis. Celui-ci refuse.

Les élus enseignants déclarent alors que cet avis a un relent d’" ordre moral " et qu’il paraît s’expliquer par la récente publication de l’ouvrage d’Agnès Joste sur la réforme du français au lycée. Ils demandent enfin à ce que la CAPA se prononce à bulletins secrets sur cette sanction. Un élu syndical n’étant malheureusement pas présent, le résultat du vote est le suivant : 9 pour le maintien, 8 contre.

Cette sanction, qui constitue un grave précédent, a suscité bien des questions légitimes.

● Le professeur serait-il désormais privé du droit de réflexion sur les contenus et les méthodes d’enseignement, et d’expression sur ce sujet qui touche à l’intérêt public ?

● Le ministère et les serviteurs zélés des réformes seraient-ils si peu convaincus eux-mêmes de leur valeur qu’ils ont besoin de sanctionner toute critique à leur encontre ?

● L’incurie de ces mêmes " responsables " serait-elle si grande qu’ils commettent l’imprudence de retenir à charge des publications personnelles, pour obtenir des sanctions dans des instances professionnelles dont la parité garantit l’indépendance ?

 

2. RÉACTION ET RÉSISTANCE.

La décision de la CAPA a immédiatement provoqué une vive émotion. Un grand nombre de professeurs de tous degrés et de toutes disciplines sont aussitôt avertis, notamment par le biais de l’internet, et se déclarent prêts à réagir et à soutenir Agnès Joste. Son éditeur, Mille et une Nuits, adopte la même position.

Deux lignes d’action sont suivies pour la protestation.

Tout d’abord la voie normale de recours administratif : Agnès Joste demande au rectorat la consultation de son dossier, et la motivation écrite de la sanction qui la frappe, mentionnant expressément quel changement a pu intervenir depuis l’année précédente, modifiant sa compétence de professeur. Cette demande effectuée par voie hiérarchique est soutenue par son chef d’établissement, qui se fonde, lui, sur des motifs strictement professionnels.

Parallèlement, des démarches syndicales sont entreprises. Les commissaires paritaires FO présents à cette CAPA en font un compte-rendu qu’ils diffusent. La section académique du SNES rencontre à deux reprises le secrétaire général du recteur et demande la levée de la sanction. Les instances nationales de ces syndicats sont prévenues, et d’autres syndicats se disent prêts à un mouvement unanime. Le collectif Sauver les Lettres prépare une riposte, envisage une pétition nationale collective et intersyndicale, et un recours au ministère en cas d’échec de ces démarches. Il se tient prêt à tenir informée la presse des faits et de leurs développements.

Le 12 mars, le chef d’établissement, à sa demande, rencontre le recteur et prolonge à son tour le débat, et fait évaluer les implications et les lourdes conséquences du maintien d’une telle mesure illégale de sanction, soulignant le hiatus choquant entre une sanction locale et la confrontation d’audience nationale qu’Alain Viala, le président du groupe d’experts de Lettres, inspirateur de la réforme, a bien voulu accepter avec Agnès Joste dans le numéro de mars du Monde de l’Éducation.

 

3. LA LEVÉE DE LA SANCTION.

Le 13 mars, le secrétaire général du rectorat de Rouen annonce par téléphone au chef d’établissement que la sanction par avis défavorable de la CAPA est levée, et que le dossier d’Agnès Joste sera transmis au ministère au même titre que les autres dossiers académiques de demande d’accès à la hors-classe.


Satisfait de l’issue favorable qu’elle a connue, le collectif Sauver les lettres tient cependant cette affaire pour symptomatique des pratiques en vigueur dans l’Éducation nationale.

Une minorité d’idéologues, le plus souvent sans pratique reconnue de l’enseignement secondaire, entreprend d’imposer des orientations absurdes dont les conséquences prévisibles, et bientôt avérées, sont à l’opposé des buts officiellement poursuivis. Elles détournent les disciplines de leur objet comme c’est le cas en français, contribuent encore à affaiblir la qualité de l’enseignement, et déroutent les élèves.

Une légion de cadres serviles et ambitieux (une partie des inspecteurs pédagogiques, de très nombreux formateurs en IUFM, certains chefs d’établissement…) dont un bon nombre n’a également qu’une expérience très limitée de l’enseignement s’emploie à faire régner un terrorisme intellectuel dans l’institution, quitte à reconnaître en privé qu’ils ne sont pas convaincus à titre personnel de la pertinence de la pensée unique qu’ils cherchent à imposer. Tout est bon : consultation fictive en vue d’une stratégie de communication manipulatrice, mesures d’intimidation des professeurs en formation ou en début de carrière, inspections-sanctions dont le rapport est en langage codé (" D’une indéniable compétence, M. X ne semble cependant pas avoir perçu toute la philosophie de la réforme… " = M. X. s’obstine à transmettre des connaissances, et y parvient…, observation qui est naturellement retenue à charge).

L’anecdote ci-dessus enseigne que les plus zélés des commissaires de la pensée pédagogique ne sont pas à court d’idées courtes pour faire régner l’ordre dans les rangs.

Collectif Sauver les lettres

L’objet du délit : Contre-expertise d’une trahison, la réforme du français au lycée, préface d’Henri Mitterand, éd. Mille et une nuits, coll. Essai, 266 p., 12 €

Rectorat de Rouen : 02 35 14 75 00