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     Le sujet d’invention : la disparition de l’objectivité propre aux  sujets canoniques.



    Qui va protéger l’élève des réformateurs ? En effet, cette mesure majeure qu’ils proposent, le sujet d’invention, le livre à eux pieds et poings liés. Sans règles définies, sans méthode, sans apprentissage possible, donc sans parades, l’ »invention » est grosse de tous les ridicules, susceptible de toutes les dérives, capable de toutes les inquisitions et de toutes les cruautés, comme on va le voir ci-dessous :
    -  « A votre tour, composez un blason en vers ou en prose, relatif à une personne qui vous est chère. » (Magnard LT2, p. 317).
      -  « Le lyrisme est le développement d’un cri » (Paul Valéry). Cherchez en vous ce que vous auriez envie de crier, et composez un texte, court ou long, qui commencera par : « J’ai envie de crier… » (Delagrave F2, p. 69). 
    - « Décrivez comme Benjamin Constant un de vos traits de caractère. Vous expliquerez comment il vous semble lié à votre histoire familiale. » (Hachette T. p. 123).
    - Pire encore ici : « En imitant les procédés de Victor Hugo [dans l’éloge funèbre à Jean Bousquet], faites l’éloge funèbre d’une victime de l’injustice, de l’intolérance, ou d’une autre personne qui vous tient à cœur » (Hachette T., p. 401).
    - La mort de Gavroche : « Imaginez cette scène racontée du point de vue de Gavroche » (Belin A., p. 313). On va donc demander à un adolescent de faire raconter à un enfant l’approche de sa propre mort ? Les réformateurs connaissent-ils ce qu’on appelle l’identification ?

    Non contents de priver les élèves de sens, de connaissances et d’appuis, comme on l’a vu dans cette dernière partie, où « l’élève en difficulté » est abandonné à son triste sort qu’ils n’auront de cesse de renforcer, les nouveaux programmes  permettent donc, par l’innovation majeure et partout célébrée dans les textes officiels, du « sujet d’invention et de création », d’attenter à l’intimité de l’élève, à ses expériences parfois secrètes, souvent douloureuses, toujours personnelles. Quoi que l’on pense des exercices traditionnels, discussion, commentaire, dissertation, jamais ils n’ont mis l’élève dans cette situation d’agression ou de viol. Jamais ils ne l’ont laissé dans cet état de détresse méthodologique, en lui fournissant toujours des façons de faire objectives, et, partant, des protections et des boucliers contre des professeurs, des correcteurs, des examinateurs partiaux ou inquisiteurs. En condamnant la « glose » , les réformateurs retirent à l’élève l’objet à examiner, et font de lui leur propre objet, ce qu’on ne peut admettre.
 
 

        La perversion s’étend également loin lorsque les textes officiels chargent les professeurs de français d’une mission que les textes les plus forts de la littérature, justement, discutent et récusent sans cesse : « la formation intellectuelle du citoyen ». Est-elle légitime, ne contredit-elle pas, exactement, la discipline qu’ils enseignent  ? On citera ici Antoine Compagnon : « Les modernités ont toujours insisté sur la fonction de rupture des normes sociales exercées par la littérature » . La littérature, et l’enseignement du français, ne sont-ils pas dévoyés et utilisés dans cette nouvelle obligation qui leur est faite  ? Si le professeur de français s’est toujours soucié de la qualité de la réflexion de ses élèves, de leur honnêteté intellectuelle et de l’exactitude de leur expression, c’est d’un élève qu’on le chargeait, non d’un citoyen. Sa nouvelle mission conduit les manuels à utiliser et manipuler la littérature, le sens des textes, et les élèves. On remarquera que ces dérives sont autorisées par les textes officiels, et qu’elles ne sont possibles qu’au prix de l’innovation majeure de la réforme : l’introduction du sujet d’invention. Les exercices antérieurs d’argumentation et de commentaire formaient un rempart sûr contre les tentations de manipulation et d’abandon de la neutralité. Ces tentations s’exercent maintenant librement  dans les manuels.
 
 

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