ÉAF 2006 - Sujets de l'épreuve écrite

Séries technologiques

Objet d’étude : la poésie.

Corpus :
Texte A. Paul Verlaine, Sagesse, III, 1881.
Texte B. Colette, Les Vrilles de la Vigne, 1908.
Texte C : Marcel Proust, Sodome et Gomorrhe, II, Chapitre Premier, 1921.
Texte D : Gustave Roud, Air de Solitude, 1945.
Texte E : Charles Dantzig, Dictionnaire Egoïste de Littérature Française, 2005.

I. Questions (6 points)
1. Dégagez les points communs et les différences entre les quatre premiers textes du corpus. (3 points)
2. Reformulez trois des idées essentielles du texte de Charles Dantzig. (3 points)

II. Travaux d'écriture (14 points).

1. Commentaire
Vous commenterez le poème de Paul Verlaine "L'échelonnement des haies" (texte A), en vous aidant du parcours de lecture suivant :
- vous analyserez comment le recours aux sensations contribue à construire le paysage ;
- vous étudierez comment le poète parvient à créer une atmosphère en accord avec le titre du recueil dont est extrait le poème.

2. Dissertation
Dans le Dictionnaire égoïste de la littérature française, Charles Dantzig affirme : "La poésie ne se trouve pas que dans les vers". Vous direz si vous partagez son point de vue dans un développement argumenté, en vous appuyant sur les textes du corpus, sur ceux que vous avez étudiés en classe ou lus personnellement.

3. Écriture d'invention
Pour une revue de poésie créée avec des camarades, vous devez écrire un article intitulé : "Je n'aime pas les vers : j'aime la poésie !". Rédigez cet article en l'illustrant de citations tirées des textes du corpus et en vous aidant de vos lectures de classe ou personnelles. Vous donnerez à votre prose un ton convaincu, sans aucune familiarité.

 


Texte A

    L'échelonnement des haies
    Moutonne à l'infini, mer
    Claire dans le brouillard clair
    Qui sent bon les jeunes baies.

 5  Des arbres et des moulins
    Sont légers sur le vert tendre
    Où vient s'ébattre et s'étendre
    L'agilité des poulains.

    Dans ce vague d'un Dimanche
10 Voici se jouer aussi
    De grandes brebis aussi
    Douces que leur laine blanche.

    Tout à l'heure déferlait
    L'onde, roulée en volutes(1),
15 De cloches comme des flûtes
    Dans le ciel comme du lait.

Stickney, 75
Paul Verlaine, Sagesse, III, 1881.

(1) Volutes : en spirales

 

Texte B

Dans le chapitre intitulé "Jour gris", la narratrice évoque la région de son enfance.

 1      J'appartiens à un pays que j'ai quitté. Tu ne peux empêcher qu'à cette
    heure s'y épanouisse au soleil toute une chevelure embaumée de forêts.
    Rien ne peut empêcher qu'à cette heure l'herbe profonde y noie le pied des
    arbres, d'un vert délicieux et apaisant dont mon âme a soif... Viens, toi qui
 5  l'ignores, viens que je te dise tout bas : le parfum des bois de mon pays égale
    la fraise et la rose ! Tu jugerais, quand les taillis de ronces y sont en fleurs,
    qu'un fruit mûrit on ne sait où — là-bas, ici, tout près —, un fruit insaisissable
    qu'on aspire en ouvrant les narines. Tu jugerais, quand l'automne pénètre et
    meurtrit les feuillages tombés, qu'une pomme trop mûre vient de choir, et tu
10 la cherches, et tu la flaires, ici, là-bas, tout près...
        Et si tu passais en juin, entre les prairies fauchées, à l'heure où la lune
    ruisselle sur les meules rondes qui sont les dunes de mon pays, tu sentirais,
    à leur parfum, s'ouvrir ton coeur. Tu fermerais les yeux, avec cette fierté grave
    dont tu voiles ta volupté, et tu laisserais tomber la tête, avec un muet
15 soupir...
        Et si tu arrivais, un jour d'été, dans mon pays, au fond d'un jardin que je
    connais, un jardin noir de verdure et sans fleurs, — si tu regardais bleuir, au
    lointain, une montagne ronde où les cailloux, les papillons et les chardons se
    teignent du même azur mauve et poussiéreux, tu m'oublierais, et tu
20  t'assoirais là, pour n'en plus bouger jusqu'au terme de ta vie !

Colette, Les Vrilles de la Vigne, 1908.

 

Texte C

Le narrateur part se promener sur une petite route normande.

 1       [...] Mais, dès que je fus arrivé à la route, ce fut un éblouissement. Là où
    je n'avais vu, avec ma grand-mère, au mois d'août, que les feuilles et comme
    l'emplacement des pommiers, à perte de vue ils étaient en pleine floraison,
    d'un luxe inouï, les pieds dans la boue et en toilette de bal, ne prenant pas de
 5  précautions pour ne pas gâter le plus merveilleux satin rose qu'on eût jamais
    vu et que faisait briller le soleil ; l'horizon lointain de la mer fournissait aux
    pommiers comme un arrière-plan d'estampe japonaise(1) ; si je levais la tête
    pour regarder le ciel entre les fleurs, qui faisaient paraître son bleu
    rasséréné(2), presque violent, elles semblaient s'écarter pour montrer la
10 profondeur de ce paradis. Sous cet azur, une brise légère mais froide faisait
    trembler légèrement les bouquets rougissants. Des mésanges bleues
    venaient se poser sur les branches et sautaient entre les fleurs, indulgentes,
    comme si c'eût été un amateur d'exotisme et de couleurs qui avait
    artificiellement créé cette beauté vivante. Mais elle touchait jusqu'aux larmes
15 parce que, si loin qu'elle allât dans ses effets d'art raffiné, on sentait qu'elle
    était naturelle, que ces pommiers étaient là en pleine campagne, comme des
    paysans sur une grande route de France. [...]

Marcel Proust, Sodome et Gomorrhe, II, Chapitre Premier, 1921.

(1) Estampe japonaise : gravure représentant souvent un paysage stylisé
(2) Rasséréné : ravivé, encore plus bleu

 

Texte D

Extrême-automne

 1  Qu'il est donc rapide, le glissement d'une saison moribonde vers la saison
    future ! Hier encore (il semble que c'était hier), ce grand pays sous le soleil
    sec de septembre s'abandonnait aux charrues. Elles ouvraient dans l'herbe
    rase des prairies de longues blessures roses d'heure en heure élargies. À la
 5  pointe du dernier sillon, Fernand, l'épaule nue et dorée comme au plein de
    l'été, une main sur le soc(1) éblouissant, portait de l'autre à ses lèvres une
    pomme si rouge que le ciel autour d'elle avivait son bleu trop doux. Les
    chevaux las s'endormaient au repos et leurs crinières, en se penchant vers le
    sommeil, démasquaient par à-coups le ruban d'horizon, ses pans de collines,
10 ses villages minuscules délicatement dessinés, avec le compte exact des
    toitures et des arbres leurs couleurs posées côte à côte sans une bavure, à
    peine amorties au fond de l'air mûri comme un vin d'or. [...]

Gustave Roud, Air de Solitude, 1945.

(1) Soc : fer de charrue servant à labourer

 

Texte E

 1  POESIE : [...] La poésie n'existe pas à l'état naturel. Loin d'être un fait qui
    préexisterait à l'homme et que celui-ci découvrirait, elle est sa création et son
    triomphe. Quand Balzac(1) parle de poésie du commerce, ce n'est pas qu'elle
    s'y trouve, c'est qu'il l'y met. Sa sensibilité lui fait transfigurer certains
 5  éléments du commerce que les autres ne regardaient même pas. La poésie
    est la forme supérieure de l'imagination. C'est pour cela qu'on la croit
    apparentée à la divination.
        Or, elle n'a rien à voir avec la Pythie, les mystères d'Eleusis, Dr Imbéné
    Ravalavanavano amour argent examens(2). La poésie, c'est du travail. Il en
10 résulte un chant faisant croire qu'elle se passe dans le ciel. Le poète marche
    sur une corde. Elle est posée par terre.
        La poésie ne se trouve pas que dans les vers. Elle est là où le talent la
    met. La poésie est le résultat de toute bonne littérature. Mallarmé(3) : "Mais,
    en vérité, il n'y a pas de prose" (réponse à l'Enquête de Jules Huret(4)).
15     Le poème est l'objet ; la poésie, éventuellement, le résultat.
        La poésie est même le résultat de tout art réussi : un tableau est de la
    poésie, un beau vêtement bien porté est de la poésie, etc. Est poésie le
    résultat de toute activité humaine menée à bien. Un geste gracieux est de la
    poésie, un mouvement de troupe bien accompli est de la poésie. [...]

Charles Dantzig, Dictionnaire Egoïste de Littérature Française, 2005.

(1) Balzac (1799-1850) : romancier français
(2) Tous les noms cités dans cette phrase sont ceux de devins ou de mages censés prédire l'avenir
(3) Mallarmé (1842-1898) : poète français
(4) Jules Huret (1863-1915) : journaliste à L'Echo de Paris. Il fit paraître, en 1891, une enquête sur l'évolution de la littérature.