ÉAF 2002 - Sujets de l'épreuve écrite

Amérique du nord - Séries ES & S

Objet d'étude : le biographique

Textes
Jean-Jacques Rousseau - Les Confessions, 1764-1770.
Chateaubriand : Mémoires d'outre-tombe, 1848-1850.
Colette: Sido, 1930.

I Vous répondrez d'abord à la question suivante (4 points)
Identifiez et analysez dans ces textes les marques caractéristiques du récit autobiographique.

II Vous traiterez ensuite un de ces trois sujets (16 points)
1. Commentaire

Vous commenterez le texte de Colette.
2. Dissertation
Dans Les Mémoires d'outre-tombe, Chateaubriand justifie ainsi son projet autobiographique: " Mettons à profit le peu d'instants qui me restent; [...] Le navigateur, abandonnant pour jamais un rivage enchanté, écrit son journal à la vue de la terre qui s'éloigne et qui va bientôt disparaître. " En quoi, selon vous, l'écriture autobiographique permet-elle de recréer le passé ?
Vous développerez votre réflexion en vous appuyant sur les textes du corpus et les textes que vous avez lus.
3. Écriture d'invention
Madame Basile écrit à son amie intime : elle rapporte et commente la scène telle qu'elle l'a vécue.

 

Texte 1 : Jean-Jacques Rousseau - Les Confessions.

Jean-Jacques, tout jeune apprenti, a proposé ses services à un orfèvre, Monsieur BASILE. Or chaque fois que celui-ci part en voyage, il laisse sa jeune épouse sous la garde d'un commis...

Un jour qu'ennuyée des sots colloques du commis elle(1) avait monté dans sa chambre, je me hâtai, dans l'arrière-boutique où j'étais, d'achever ma petite tâche et je la suivis. Sa chambre était entrouverte ; j'y entrai sans être aperçu. Elle brodait près d'une fenêtre, ayant, en face, le côté de la chambre opposé à la porte. Elle ne pouvait me voir entrer, ni m'entendre, à cause du bruit que des chariots faisaient dans la rue. Elle se mettait toujours bien : ce jour-là sa parure approchait de la coquetterie. Son attitude était gracieuse, sa tête un peu baissée laissait voir la blancheur de son cou ; ses cheveux relevés avec élégance étaient ornés de fleurs. II régnait dans toute sa figure un charme que j'eus le temps de considérer, et qui me mit hors de moi. Je me jetai à genoux à l'entrée de la chambre, en tendant les bras vers elle d'un mouvement passionné, bien sûr qu'elle ne pouvait m'entendre, et ne pensant pas qu'elle pût me voir: mais il y avait à la cheminée une glace qui me trahit. Je ne sais quel effet ce transport fit sur elle ; elle ne me regarda point, ne me parla point; mais tournant à demi la tête, d'un simple mouvement de doigt, elle me montra la natte à ses pieds. Tressaillir, pousser un cri, m'élancer à la place qu'elle m'avait marquée, ne fut pour moi qu'une même chose: mais ce qu'on aurait peine à croire est que dans cet état je n'osai rien entreprendre au-delà, ni dit un seul mot, ni lever les yeux sur elle, ni la toucher même, dans une attitude aussi contrainte, pour m'appuyer un instant sur ses genoux. J'étais muet, immobile: mais non pas tranquille assurément : tout marquait en moi l'agitation, la joie, la reconnaissance, les ardents désirs incertains dans leur objet, et contenus par la frayeur de déplaire sur laquelle mon jeune coeur ne pouvait se rassurer.

Je ne sais comment eût fini cette scène vive et muette, ni combien de temps j'aurais demeuré immobile dans cet état ridicule et délicieux, si nous n'eussions été interrompus. Au plus fort de mes agitations, j'entendis ouvrir la porte de la cuisine, qui touchait la chambre où nous étions, et Mme Basile alarmée me dit vivement de la voix et du geste : " Levez-vous, voici Rosina. " En me levant en hâte, je saisis une main qu'elle me tendait, et j'y appliquai deux baisers brûlants, au second desquels je sentis cette charmante main se presser un peu contre mes lèvres. De mes jours, je n'eus un si doux moment: mais l'occasion que j'avais perdue ne revint plus, et nos jeunes amours en restèrent là.

[... ] Un petit signe du doigt, une main légèrement pressée contre ma bouche, sont les seules faveurs que je reçus jamais de Mme Basile, et le souvenir de ces faveurs si légères me transporte encore en y pensant.

1. " elle " : Madame BASILE

Texte 2 : Chateaubriand, Mémoires d'outre-tombe.

Chateaubriand se promène seul sur les terres du château de Montboissier dont il ne reste que quelques ruines.

Je fus tiré de mes réflexions par le gazouillement d'une grive perchée sur la plus haute branche d'un bouleau. A l'instant, ce son magique fit reparaître à mes yeux le domaine paternel ; j'oubliai les catastrophes dont je venais d'être le témoin, et, transporté subitement dans le passé, je revis ces campagnes où j'entendis si souvent siffler la grive. Quand je l'écoutais alors, j'étais triste de même qu'aujourd'hui; mais cette première tristesse était celle qui naît d'un désir vague de bonheur, lorsqu'on est sans expérience ; la tristesse que j'éprouve actuellement vient de la connaissance des choses appréciées et jugées. Le chant de l'oiseau dans les bois de Combourg m'entretenait d'une félicité que je croyais atteindre; le même chant dans le parc de Montboissier me rappelait des jours perdus à la poursuite de cette félicité insaisissable. Je n'ai plus rien à apprendre, j'ai marché plus vite qu'un autre, et j'ai fait le tour de la vie. Les heures fuient et m'entraînent; je n'ai pas même la certitude de pouvoir achever ces Mémoires. Dans combien de lieux ai-je déjà commencé à les écrire, et dans quel lieu les finirai-je ? Combien de temps me promènerai-je au bord des bois ? Mettons à profit le peu d'instants qui me restent, hâtons-nous de peindre ma jeunesse, tandis que j'y touche encore; le navigateur, abandonnant pour jamais un rivage enchanté, écrit son journal à la vue de la terre qui s'éloigne et qui va bientôt disparaître.

Texte 3 : Colette: Sido.

Colette évoque des souvenirs de son enfance auprès de sa mère, Sido.

Car j'aimais tant l'aube, déjà, que ma mère me l'accordait en récompense. J'obtenais qu'elle m'éveillât à trois heures et demie, et je m'en allais, un panier vide à chaque bras, vers des terres maraîchères qui se réfugiaient dans le pli étroit de la rivière, vers des fraises, les cassis et les groseilles barbues.

A trois heures et demie, tout dormait dans un bleu originel, humide et confus, et quand je descendais le chemin de sable, le brouillard retenu par son poids baignait d'abord mes jambes, mes oreilles et mes narines plus sensibles que tout le reste de mon corps... J'allais seule, ce pays mal pensant était sans dangers. C'est sur ce chemin, c'est à cette heure que je prenais conscience de mon prix, d'un état de grâce indicible et de ma connivence avec le premier souffle accouru, le premier oiseau, le soleil encore ovale, déformé par son éclosion...

Ma mère me laissait partir, après m'avoir nommée " Beauté, Joyau-tout-en-or " ; elle regardait courir et décroître sur la pente son oeuvre, - " chef d'oeuvre ", disait-elle. J'étais peut-être jolie; ma mère et mes portraits de ce temps-là ne sont pas toujours d'accord... Je l'étais à cause de mon âge et du lever du jour, à cause des yeux bleus assombris par la verdure, des cheveux blonds qui ne seraient lissés qu'à mon retour, et de ma supériorité d'enfant éveillée sur les autres enfants endormis.

Je revenais à la cloche de la première messe. Mais pas avant d'avoir mangé de mon saoul, pas avant d'avoir, dans les bois, décrit un grand circuit de chien qui chasse seul, et goûté l'eau de deux sources perdues, que je révérais. L'une se haussait hors de la terre par une convulsion cristalline, une sorte de sanglot, qui traçait elle-même son lit sableux. Elle se décourageait aussitôt née et replongeait sous la terre. L'autre source, presque invisible, froissait l'herbe comme un serpent, s'étalait secrète au centre d'un pré où des narcisses, fleuris en ronde, attestaient seuls sa présence. La première avait goût de feuille de chêne, la seconde de fer et de tige de jacinthe... Rien qu'à parier d'elles je souhaite que leur saveur m'emplisse la bouche au moment de tout finir, et que j'emporte, avec moi, cette gorgée imaginaire...