L'épreuve de français : contenu et controverse

Dernières Nouvelles d'Alsace du 11/06/2003


A l'écrit, les candidats ont le choix entre trois sujets : un commentaire de texte, une dissertation et un exercice d'écriture d'invention

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Les élèves de première passeront vendredi la nouvelle épreuve anticipée de français. Ils choisiront peut-être le sujet d'invention, très critiqué par certains professeurs de lettres.

Comme leurs aînés, les élèves de première passent cette année le bac. En Alsace, 12 685 candidats se présentent à l'épreuve anticipée de français (EAF), valable pour la session 2004. Survivance du baccalauréat en deux partie, l'EAF existe depuis 1969. Elle revêt une signification symbolique pour les élèves : " Ils passent leur premier oral, dans une discipline porteuse de valeurs et de connaissances générales ", dit Geneviève Winter, inspecteur pédagogique régional (IPR) de lettres. L'épreuve anticipée de français vérifie les connaissances acquises par les élèves, dans le cadre des nouveaux programmes mis en place à la rentrée 2001, en première. Sa version actuelle apporte quelques petites modifications à la formule 2002, qui a fait l'effet d'une petite révolution.

" Invention, pas imagination "

A l'écrit," le candidat compose à partir d'un ensemble de textes littéraires, assez courts, qui ont en commun l'appartenance à un genre ou à une forme d'expression étudiée en cours d'année : poésie, théâtre, argumentation, biographie... ", indique Geneviève Winter. L'élève a le choix entre trois sujets : une dissertation, un commentaire littéraire et un exercice d'écriture d'invention (" et non d'imagination "), qui est venu remplacer l'étude de texte argumentatif.

" Question fondamentale "

" Le nouvel exercice amène le candidat à argumenter sous forme de lettre ouverte, d'article de presse ou de discours prêté à un orateur, à partir de la problématique posée par les textes du corpus ", dit Geneviève Winter. Intérêt de la formule ? Elle oblige le candidat à " lire tous les textes ", avant de faire son choix. " Elle permet également à des élèves, mal à l'aise dans le cadre académique de la dissertation ou du commentaire, de restituer un savoir d'une autre façon. " A l'oral, le candidat est interrogé sur les textes et les oeuvres étudiées en cours d'année. Il a dû lire six oeuvres complètes, qui combinent des genres littéraires différents, des auteurs classiques comme Montaigne, Rabelais, Racine, Diderot ou Rimbaud, et des auteurs contemporains comme Koltès ou Pierre Michon. L'examinateur choisit un extrait, et pose à l'élève " une question fondamentale ", propre à éclairer le texte. Le candidat dispose de 30 mn pour préparer sa réponse, à travers un exposé structuré. Il le présente pendant 10 mn, après avoir lu le texte à haute voix. Un entretien lui permet ensuite " d'élargir sa réflexion " à d'autres oeuvres lues dans le cadre du programme. " Le candidat peut ainsi restituer des connaissances acquises, en faisant preuve d'esprit critique ", dit Geneviève Winter.

" Le café du commerce "

L'EAF ne fait cependant pas l'unanimité chez les profs de lettres. Une grogne, portée par le collectif " Sauvez les lettres ", dénonce en particulier le sujet d'invention. Agnès Joste, membre du collectif, prof de lettres et auteur d'un livre sur la réforme du français au lycée (*), estime pour commencer qu'il y a " tromperie " sur l'appellation de l'exercice : " L'élève ne crée pas, il doit seulement trouver quelque chose à dire... " A la différence du commentaire ou de la dissertation, poursuit Agnès Joste, l'écriture d'invention n'est pas " un exercice intellectuel de pensée ", mais" une forme de communication ", qui ne vérifie pas les connaissances littéraires. De surcroît, le caractère " imprévisible " de cette épreuve empêche le professeur d'y préparer correctement ses élèves. Résultat : " On obtient des devoirs sans contenu, hors contexte, avec un faible niveau de langue ", dit la prof de lettres, en taxant le propos du candidat de " café du commerce ". A l'oral, dénonce encore Agnès Joste, la question sur le texte se montre elle aussi " imprévisible ", varie beaucoup trop d'un examinateur à l'autre, et ne sanctionne pas forcément les connaissances acquises dans l'année : " Même un élève sérieux ne peut être sûr qu'il va réussir l'examen. Ce n'est plus vraiment du français. "

Michèle Singer

(*) " Contre expertise d'une trahison ", ed. Mille et une nuits - 2002