Certificat d'Études Primaires 1920-1995

La brochure de la DEP de 1996 [1]

(Extrait de "Et propter vitam, vivendi perdere causas" - pdf 133 Ko)


Est-ce pour que l'on ne parle plus de cette brochure ? Un fait est certain : elle n'est plus disponible. Mais vous pouvez la retrouver sur le site de Reconstruire l'école à l'adresse indiquée infra [2].

Intéressons –nous donc à ses conclusions. Mais avant d'aborder le sujet, deux précisions :

- la justification des statistiques et arguments que je vais donner, ainsi qu'une analyse beaucoup plus complète de l'argumentation de la DEP et d'autres courants se trouve dans Commentaires sur l'étude de la DEP de 1996 [3]. Ce texte est une partie d'un texte plus complet à paraître.

– le seul aspect positif du texte de la DEP est de donner une argumentation justifiée du fait que, dans les années 1920/30, 50% d'une classe d'âge obtenait le CEP. Ce qui remet à sa juste place l'affirmation donnée par B. Dancel dans le Monde de l'Education et présentée comme une mise en garde scientifique : " on oublie souvent de signaler que 50 % seulement des élèves de primaire étaient alors présentés à l’examen par leurs instituteurs". On a bien raison de l'oublier …parce que c'est faux [4]. Pour donner un ordre de grandeur , il y avait à peu prés 14,8% de reçus en 1882, 35% en 1907, "la proportion ne s'étant pas élevée [au dessus de 50%], tout simplement parce que, au lendemain de la seconde guerre mondiale, l'attrait de la sixième ôte mécaniquement au certificat une partie de sa clientèle habituée[5].


A) Les principaux résultats de l'évaluation (CEP96, pages 9 et 10)

Les principaux résultats issus de la comparaison

• La rédaction

Les élèves d'aujourd'hui réussissent en moyenne mieux que leurs aînés l'épreuve de rédaction. En effet, la comparaison sur l'ensemble des élèves montre, selon les critères évalués, soit une similitude des résultats entre les deux périodes, soit un écart à l'avantage des élèves de 1995. Dans les années vingt, l'exercice de rédaction était considéré comme secondaire, notamment par rapport à la dictée. Il est maintenant plus valorisé, et l'on s'explique ainsi la meilleure réussite des élèves d'aujourd'hui. A noter, cependant, que si on se limite à la première moitié des élèves, la maîtrise de la rédaction est analogue aux deux dates.

• La dictée (orthographe)

Les élèves d'aujourd'hui ont commis, en moyenne, sur les dictées proposées, environ 2,5 fois plus de fautes que ceux des années vingt, que l'on s'intéresse à l'ensemble de la génération ou seulement aux élèves de la première moitié. La baisse est plus prononcée pour les garçons que pour les filles. Depuis un siècle, les compétences orthographiques des élèves ont donc d'abord crû puis décru, le niveau moyen d'aujourd'hui étant inférieur à celui des années vingt, mais supérieur à celui qui prévalait au début de la IIIe République. L'analyse de la répartition des types de fautes commises montre que les élèves d'aujourd'hui font proportionnellement deux fois moins de fautes de langue et de signes orthographiques que ceux des années vingt, mais plus de fautes de grammaire ou de lexique.

• Les questions de dictée

L'analyse des résultats des générations met en évidence des écarts, très peu marqués, sur les aspects relevant de l'intelligence du texte (vocabulaire et compréhension), dont la maîtrise est donc à peu près analogue aux deux dates.

En revanche, pour la connaissance de la langue (analyse grammaticale, conjugaison, voire analyse logique), les différences sont importantes, du moins au sein de la première moitié des élèves : ceux d'aujourd'hui maîtrisent moins bien ces domaines que ceux des années vingt, même si les exercices proposés au CEP étaient déjà difficiles pour les candidats de l'époque.

• Les mathématiques

L'évaluation permet de distinguer la réussite au problème et les compétences calculatoires des élèves. La comparaison sur l'ensemble des générations montre que les élèves des années vingt étaient plus nombreux à réussir complètement le problème proposé au certificat d'études de l'époque que ceux d'aujourd'hui.

Toutefois l'analyse des compétences calculatoires de la meilleure moitié des élèves ou de l'ensemble des générations montre des réussites tout à fait similaires à 70 ans de distance pour l'addition, la soustraction et la division de nombres entiers. Seule la technique de la multiplication était légèrement mieux maîtrisée par les élèves d'autrefois.

Au total, les résultats des élèves sont aujourd'hui meilleurs en rédaction; ils sont à peu près équivalents dans les questions de dictée portant sur l'intelligence du texte (vocabulaire et compréhension) et, en calcul, dans trois des opérations de base (addition, soustraction et division de nombres entiers) ; ils sont en baisse, légère en multiplication, et marquée en orthographe, en analyse grammaticale, en conjugaison et dans la résolution du type de problèmes posés dans les années vingt. Il importe de rappeler que la comparaison porte sur des épreuves des années vingt et que les programmes et les contenus des enseignements, en français comme en mathématiques, ont beaucoup évolué ; ceci peut expliquer que les élèves d'aujourd'hui, tout en ayant des connaissances plus larges sur des parties nouvelles ou peu enseignées autrefois (en géométrie par exemple), ont plus de difficultés dans certains de ces exercices parce qu'ils y sont moins entraînés.


B) Les Mathématiques

Reprenons :

" Les mathématiques

L'évaluation permet de distinguer la réussite au problème et les compétences calculatoires des élèves. La comparaison sur l'ensemble des générations montre que les élèves des années vingt étaient plus nombreux à réussir complètement le problème proposé au certificat d'études de l'époque que ceux d'aujourd'hui.

Toutefois l'analyse des compétences calculatoires de la meilleure moitié des élèves ou de l'ensemble des générations montre des réussites tout à fait similaires à 70 ans de distance pour l'addition, la soustraction et la division de nombres entiers. Seule la technique de la multiplication était légèrement mieux maîtrisée par les élèves d'autrefois."  [6]


1) La résolution des problèmes

Il est dit : " les élèves des années vingt étaient plus nombreux à réussir complètement le problème proposé" . En observant le tableau ci-dessous, ceci revient à poser le rhume comme diagnostic de la tuberculose , ce qui n'est pas faux au sens de la DEP , … puisque ce sont deux maladies.

 

 

Ensemble de la génération

Les meilleurs élèves

(10% de l'effectif)

Présentés au CEPou

la meilleure moitié

Non présentés au CEP

ou la deuxième moitié

 

1923/25

1995

1923/25

1995

1923/25

1995

1923/25

1995

Réussite complète

61%

21%

99 %

76 %

80%

33%

42%

9%

% de baisse de la réussite 1995/1925

66%

23%

59%

78%

Echec complet

24%

61%

1%

8%

20%

47%

28%

75%

% de hausse de l'échec 1995/1925

154%

700%

130%

168%

 

Ce qui donne les profils comparés de classe en 1920 et 1995 où la partie grisée claire représente les élèves qui réussissent intégralement les problèmes et la partie bleue ceux qui sont en échec complet :

 

50% de l'effectif

50% de l'effectif

1920

61%

 

24%

1995

21%

 

61%

Remarquons que, si la brochure de la DEP de 1996 traduit cet effondrement par "les élèves des années vingt étaient plus nombreux à réussir complètement le problème proposé au certificat d'études ", Brigitte Dancel va plus loin et n'en dit pas un mot malgré le fait bien qu'elle ait participé à l'étude comparative.

Cela dit, les problèmes choisis [7] pour effectuer la comparaison ne recouvrent pas, et loin de là, TOUT le programme de 1920 mais simplement la partie du programme de 1920 encore faite en 1995 qui ne représente qu'une très faible partie du premier [8]. Le paragraphe Des choix dans les matières et les sujets d'examen de la brochure de la DEP [9] sert à justifier ce choix de problèmes par un certain nombre d'arguments plus ou moins fallacieux dont le plus grossier est " On constate … qu'il n'y avait pas de géométrie [au programme du Certificat d'études primaires]". J'ai montré que, non seulement il y en avait, mais qu'elle était d'un niveau bien supérieur au niveau actuel ( CDEP, pages 16 à 24).

On peut donc dire que la chute réelle sur la résolution des problèmes est bien plus forte que celle, déjà catastrophique, que montrent les tableaux supra.


2) Les compétences calculatoires

Le commentaire, surprenant, de la DEP est le suivant : "Toutefois l'analyse des compétences calculatoires de la meilleure moitié des élèves ou de l'ensemble des générations montre des réussites tout à fait similaires à 70 ans de distance pour l'addition, la soustraction et la division de nombres entiers. Seule la technique de la multiplication était légèrement mieux maîtrisée par les élèves d'autrefois."[CEP96, p. 10]

Cette "Similarité des compétences calculatoires" a de quoi surprendre car la maîtrise de la division suppose celle des autres opérations et en particulier celle de la multiplication. Mais la raison de cette similarité s'éclaire lorsque l'on sait que les 20 problèmes choisis pour tester la maîtrise des opérations ainsi que le mode de traitement des données choisis par la DEP avaient certaines…particularités :

- la comparaison porte sur "la division de nombres entiers" : étaient éliminés de la comparaison les divisions "à virgule" qui faisaient partie du programme du primaire des années 20 mais plus des programmes actuels

- Sur les 20 problèmes choisis, seuls quatre comportaient des divisions - combien difficiles !- qui ne se faisaient pas de tête : 145 : 5= 29, 2484 : 6 = 414, 594 : 3 = 198, 1080 : 30 = 36, 72 : 18 = 4, 156 : 12 = 13 et une seule qui ne tombe pas juste : 456 par 60.

- l'élève pouvait remplacer la division par une suite de soustractions [10], cet échec de maîtrise de la division ne comptant pas dans l'évaluation de la division et pouvant être compté comme réussite pour la soustraction [CEP96, page 29] [11].

Là aussi , B. Dancel n'innove pas puisqu'elle dit "on remarque certes une légère baisse de l'excellence pour ce qui concerne la multiplication".

Et pourtant , il y a d'autres bizarreries dans la comptabilisation des résultats justes pour les opérations . En effet, toutes les épreuves étaient corrigées en fonction de plusieurs codes, les trois codes correspondants à des résultats entièrement ou partiellement justes étant

Code 1 : démarche correcte et complète, calculs exacts, avec ou sans unité.

Code 2 : démarche correctement engagée mais incomplète, calculs effectués exacts.

Code 3 : démarche correcte, complète ou incomplète, avec au moins un calcul erroné.

Pour toutes les autres épreuves sont donnés les pourcentages de réussite pour le codes 1 et, surprise, pour les opérations, sujet sur lequel il est justement très facile de savoir si le résultat est juste ou non, la DEP ne publie que les résultats amalgamés des codes 1 et 2. Qui sont, pour la multiplication :

 

Ensemble de la génération

Les meilleurs élèves

(10% de l'effectif)

Présentés au CEPou

la meilleure moitié

Non présentés au CEP

ou la deuxième moitié

 

1923/25

1995

1923/25

1995

1923/25

1995

1923/25

1995

Code 1+ 2

81%

68%

99 %

89 %

89%

76%

73%

60%

Si l'on avait les pourcentages de réussite correspondant seulement au code 1, on peut dire une seule chose : ils seraient plus bas et Madame Dancel aurait beaucoup plus de mal à remarquer simplement " une baisse légère de l'excellence ", d'autant plus que l'on peut remarquer, si l'on veut parler d'excellence, que le taux de réussite des 10% des meilleurs en 1995 est exactement le taux de réussite en 1920 de 50% d'une classe d'âge.


C) Le français

Je me contenterai d'évoquer, dans le cadre de ce texte assez court, les résultats de la dictée et ceux de la rédaction. Le cas de la dictée est assez connu depuis que Luc Ferry l'a évoqué l'a dernier mais il n'est pas inutile d'afficher les comparaisons sur la deuxième moitié des classes, ce qui n'est pas fait dans l'étude de la DEP; quant à la rédaction , c'est un sujet intéressant puisque c'est le seul pour lequel la DEP prétend que les élèves de 1995 sont meilleurs que ceux de 1920.

1) Dictée - Orthographe

Nombre de fautes pour les 10% des meilleurs élèves :

- 61% faisaient 0 fautes en 1925, 9% en 1995.

- Aucun élève ne faisait plus d'une faute en 1925, ils sont 71% en 1995.

Nombre moyen de fautes :

 

Ensemble de la génération

Les meilleurs élèves

(10% de l'effectif)

Présentés au CEPou

la meilleure moitié

Non présentés au CEP

ou la deuxième moitié

 

1923/25

1995

1923/25

1995

1923/25

1995

1923/25

1995

Nombre moyen de fautes

6,2

14,8

0,4

2,1

3,9

9,3

8,5

20,3

Nombre de fautes en plus

8,6

1,7

5,4

11,8

Augmentation en %

139%

425%

139%

141%

Ce tableau montre que l'objectif de "lutte contre l'illettrisme" qui ne vise que les élèves ayant le plus de difficultés est insuffisant - car les meilleurs élèves ont aussi des difficultés - et illusoire - car il ne peut être atteint sans une refonte complète des programmes [12]. L'affirmation de la centralité de cet objectif défini ainsi est l'arbre qui cache la forêt et l'on voit bien dans le rapport Périssol comment les problèmes sont mal posés puisque, au moment où l'on s'aperçoit que des bacheliers litteraires ne possédent pas les bases de la grammaire, M. Bentolila, auditionné l'an dernier, définit "la situation de l'illettrisme dans notre pays" par . "11 % des jeunes de 17 à 22 ans sont en difficulté de lecture et d'écriture suffisante pour que leur vie quotidienne s'en trouve gênée" [13].

De plus, dans cette problématique qui ne traduit l'échec scolaire qu'en fonction du nombre d'éléves sortant du système sans diplôme et qui ne pose le problème qu'au travers de statistiques sur les diplômes sans en questionner leur valeur non pas marchande mais intrinsèque, on peut très bien continuer à brader les diplômes – c'est justement ce qui s'est passé pour le bac 9 mois après le Rapport Perissol [14] – et avancer encore plus vers la situation que connaissait la société américaine dès les années 80 :

- 20% de victimes de l'illettrisme parmi les titulaires de diplômes d'études supérieurs ( y compris universitaires)
- 50% de victimes de l'illettrisme parmi les diplômés de l'enseignement secondaire ( y compris études supérieures partielles) [15]

2) Rédaction

La rédaction

Les élèves d'aujourd'hui réussissent en moyenne mieux que leurs aînés l'épreuve de rédaction. En effet, la comparaison sur l'ensemble des élèves montre, selon les critères évalués, soit une similitude des résultats entre les deux périodes, soit un écart à l'avantage des élèves de 1995. Dans les années vingt, l'exercice de rédaction était considéré comme secondaire, notamment par rapport à la dictée. Il est maintenant plus valorisé, et l'on s'explique ainsi la meilleure réussite des élèves d'aujourd'hui. A noter, cependant, que si on se limite à la première moitié des élèves, la maîtrise de la rédaction est analogue aux deux dates.

Il s'agit donc, puisqu'il s'agit du seul domaine pour lequel la DEP trouve un "un écart à l'avantage des élèves de 1995" d'observer "les critères évalués " qui permettent d'arriver à cette conclusion.

Dans l'étude de la rédaction , les seul items qui fait vraiment une différence sont les items 1 et 1 bis. Voici tout cru le commentaire et le tableau statistique donné dans la brochure :

Cohérence et longueur du texte (item 1 et 1 bis )

"Les élèves de 1995 écrivent des textes plus cohérents et plus longs que les élèves des années 20. Ils sont aujourd'ui 90 % de la meilleure moitié à écrire un texte cohérent d'au moins 20 lignes contre 78% dans les années vingt, et 79 % rédigent plus de 20 lignes, contre 56 % des candidats au CEP."

 

 

Ensemble de la "génération"

Les présentés au CEP ou la meilleure moitié

 

Années 20

France 95

Somme 95

Années 20

présentés au CEP

France 95

la meilleure moitié

Somme 95

la meilleure moitié

Item 1

64 %

86 %

81 %

78 %

90 %

86 %

Item 1 bis

 

 

Moins de 20 lignes

 

 

 

44%

21%

29%

20 lignes et plus

 

 

 

56%

79%

71%

 

Plusieurs remarques viennent immédiatement à l'esprit :

- La longueur d'un texte, à part dans un exercice de réduction d'un texte, ne permet en aucune manière de juger de la qualité de ce texte .

- Une innovation théorique dans le domaine de la mesure : la longueur du texte n'est pas donnée en nombre de mots mais en nombre de lignes, ce qui n'a aucun sens puisque le nombre de lignes dépend notamment de la taille d'écriture ?. Si la qualité de l'écriture s'est modifiée entre 1920 et 1995, quelle est l'influence de cette qualité sur le nombre de lignes utilisées ?

- Alors que dans tous les autres items et pour toutes les épreuves est donné le pourcentage pour l'ensemble de la génération, nous n'avons pas ce renseignement pour l'item 1bis

- Alors qu'il aurait été très facile de coder séparément la longueur du texte et la cohérence de celui-ci, l'item 1 code simultanément la cohérence et la longueur du texte. Sans chercher les raisons qui ont abouti à ce choix étonnant, on peut en remarquer au moins deux effets :

Un texte cohérent de moins de 20 lignes n'a pas droit au code 1 et n'est pas considéré comme une réussite.

La cohérence du texte ne peut être évaluée puisque les seuls pourcentages qui la traduisent mélangent la cohérence à un autre critère qui en est indépendant.

Mais il y a plus et pour comprendre l'enjeu, intéressons-nous maintenant à ce que tout enseignant [16] sait mais qui figurait dans à un texte paru en 1993, soit DEUX ANS AVANT l'étude de la DEP, texte suffisamment célèbre pour être connu de la DEP puisque écrit par les deux auteurs, dix ans avant, du Poisson Rouge dans le Perrier :

"Il nous faut faire part ici d'un constat assez étonnant à première vue, mais qui se comprend à la réflexion: au début de notre carrière, les défauts d'expression , chez les élèves des lycées, , étaient déjà assez graves , mais ceux-ci les palliaient, peu ou prou, par une économie de verbe ; il n'était pas difficile alors de leur inculquer le mot d'ordre léniniste " Mieux vaut moins mais mieux" ; en revanche , quand nous avons vu arriver, dans les années 80, les élèves Haby, et c'est le cas encore aujourd'hui, la tendance générale était aux copies interminables, bourrées de fautes, inintelligibles, sans qu'il soit possible de refréner cette logorrhée."  [17]

On peut donc dire que, sur la seule épreuve de toute la comparaison du 1995 / 1920 pour laquelle la DEP prétend que les élèves de 1995 ont des résultats supérieurs à ceux de 1920

1) le protocole utilisé n'a aucune valeur scientifique

2) on peut soupçonner fortement que les critères choisis désavantagent les élèves de 1920 ( ce qui ne fait que reproduire ce qui se passe pour les mathématiques)


D) Nouvelle Conclusion 1999 : C. Joutard et P. Thélot, statisticiens de l'indicible et du non quantifiable

Dans le livre déjà cité de Messieurs Thélot et Joutard, on peut découvrir une interprétation innovante des résultats de l'étude de 1996 :

"Le second exemple, qui traverse les disciplines littéraires et les sciences humaines, réside dans le schéma suivant, qui paraît très général : les jeunes maîtrisent moins bien qu'il y a quelques décennies un certain nombre de mécanismes, mais ont plus d'aisance, de spontanéité et d'originalité dans leur expression, tant écrite qu'orale. C'est net s'agissant des langues vivantes, où l'on parle plus spontanément mais avec plus de fautes. C'est visible aussi en français où l'orthographe et les mécanismes de la langue sont, vers 12-14 ans, moins bien maîtrisés qu'au cours des années vingt, surtout par les garçons, mais où les rédactions (celles qu'on demandait au certificat d'études et qu'on demande encore maintenant en 6e et en 5e) sont meilleures aujourd'hui qu'alors. La baisse de maîtrise des mécanismes trouve aussi un écho dans les opérations : si additions et soustractions sont réussies comme autrefois, les multiplications le sont moins; le contraste est complet avec la meilleure maîtrise, aujourd'hui, des questions géométriques, ceci correspondant à un accent marqué dans les programmes depuis la mi-85. Ce schéma général, moins bonne maîtrise des mécanismes/expression plus aisée et plus originale, n'est peut-être pas nouveau, car on en trouve la trace dans certaines plaintes exprimées à propos des connaissances des élèves en latin au XIXe siècle! Quoi qu'il en soit, il conduit à une réflexion capitale en matière de politique: le principal défi du système éducatif aujourd'hui consiste à remettre l'accent sur la maîtrise d'un certain nombre de mécanismes, ceux que l'on jugera fondamentaux, grâce à des pratiques (et pas seulement des méthodes) pédagogiques efficaces aujourd'hui, et cela sans perdre ce progrès en matière d'originalité et d'aisance de l'expression qui a eu lieu ces dernières décennies."  [18]

Les duettistes s'appuient sur la comparaison pour la rédaction sans grande nouveauté mais ils innovent car, si en 1996, la DEP prétendait qu'il n'y avait pas de géométrie au programme du CEP pour éviter une comparaison défavorable aux élèves de 1995, cette absence de comparaison se traduit maintenant par une " meilleure maîtrise, aujourd'hui, des questions géométriques ".

Qui plus est, elle sert à introduire , par un raisonnement qu'il faudrait justifier , un schéma général, moins bonne maîtrise des mécanismes/expression plus aisée et plus originale qui a un énorme avantage puisqu'il ne peut pas être l'objet d'une évaluation quantifiable.

D'ailleurs le phénomène n'est pas complètement ignoré en haut lieu puisque Luc Ferry lui-même écrivait dans un article du Point de 1997 [19] , bien qu'il affirme que la DEP a répondu "de manière enfin scientifique" :

"Une question enfin tranchée : des années 20 aux années 90, le niveau baisse incontestablement en matière d'écriture et de lecture.

Depuis plusieurs décennies, la fameuse question du " niveau qui monte ou qui descend " n'a cessé de diviser les observateurs de notre système éducatif. Elle n'avait jusqu'à présent trouvé aucune réponse réellement convaincante. Or c'est bien à cette question que la Direction de l'évaluation et de la prospective (DEP) a voulu répondre de manière enfin scientifique, en entreprenant une comparaison des connaissances en français et en calcul des élèves des années 20 avec celles des élèves d'aujourd'hui. L'occasion, presque miraculeuse, lui en a été donnée par la providentielle découverte, dans la Somme, de 9 000 copies du certificat d'études des années 1923, 1924 et 1925. La DEP a donc fait passer, en 1995, à 3 000 élèves les mêmes épreuves que celles des années 1920 en français (rédaction, dictée et questions) et en calcul. Elle s'est bien sûr, c'est essentiel, entourée de toutes les précautions méthodologiques : on a écarté les sujets ne correspondant plus aux programmes ou à l'esprit de notre époque ; on a pris en compte le fait qu'en l920 on ne présentait au certificat d'études que les meilleurs élèves, en distinguant dans les résultats la meilleure moitié des élèves de 1995 ; on a tenu compte de l'âge des enfants ; on les a familiarisés, sinon préparés, aux épreuves du certificat d'études.

Quel que soit le caractère pour le moins nuancé, voire alambiqué, de la présentation des résultats (c'est humain : aucun ministère n'a intérêt à publier de " mauvais chiffres " !), il est pour le moins difficile d'atténuer la brutalité de certains constats. En dictée, les élèves d'aujourd'hui commettent en moyenne 2,5 fois plus de fautes que ceux des années 20 : " Une copie sur deux contient moins de 3 fautes dans les années 20, pas moins de 7 ou 8 fautes aujourd'hui. " En calcul, près de 70 % des élèves de 1920 proposent " une démarche correcte et complète pour résoudre les problèmes ", contre seulement un tiers des élèves de la meilleure moitié de 1995. La rédaction paraît seule échapper à cette contre-performance, selon la conclusion prudente de la DEP : " Les élèves de 1995 ont tendance à mieux réussir que ceux des années 20 si l'on compare les résultats sur l'ensemble de la génération. " Un soupçon, cependant : les résultats présentés comme positifs ne peuvent-ils donc être obtenus que dans un domaine non mesurable et par un artifice de présentation qui nous offre une reconstitution " virtuelle " de la génération de 1920 ? Même en tenant compte de l'évolution des programmes et des contenus d'enseignement ainsi que de l'allongement des études qui a sans doute déplacé le niveau d'exigence des acquisitions pour des élèves de 12-13 ans, on est bien obligé de constater, selon l'expression même de la DEP, une " baisse marquée " en connaissance de la langue et en calcul. Ces résultats sont d'autant plus inquiétants qu'ils touchent les " fondamentaux " et qu'ils manifestent une notable aggravation de l'écart entre les meilleurs élèves de 1995 et ceux que l'on qualifie aujourd'hui de " moyens-faibles ". Au reste, il est encore une réalité que ne traduisent pas les chiffres, mais qui a pourtant son poids : lorsqu'on regarde physiquement les copies, la différence saute aux yeux. Celles des années 20, même les plus mauvaises, sont calligraphiées et présentées avec soin, celles d'aujourd'hui ressemblent souvent à des torchons. C'est toute une forme de respect pour la chose écrite, mais aussi, sans doute, pour le maître, et plus généralement la vie scolaire, qui s'est probablement effondrée. Et ce n'est pas ici, malgré l'apparence, un jugement de valeur, mais un constat dont il faudra aussi tenir compte dans la compréhension du phénomène.

Une chose est sûre, en tout cas : le discours habituel selon lequel le collège serait le " point noir " du système, le lieu où faire porter l'effort en priorité, risque d'induire en erreur. De facto, presque tout est déjà trop tard au collège, en termes d'égalisation des conditions et de rattrapage de l'échec scolaire. Si les difficultés y deviennent manifestes, c'est en vérité parce que l'école n'a pas fonctionné comme elle l'aurait dû et pu (les chiffres cités plus haut l'indiquent assez) et qu'il est déjà trop tard pour mettre en place des procédures réellement efficaces de réintégration (l'échec des tentatives, sans cesse réitérées, de la " pédagogie de soutien " est à cet égard patent). Il faut donc, là encore, avoir le courage d'en tirer les conséquences."

Mais le pire est la conclusion : "le principal défi du système éducatif aujourd'hui consiste à remettre l'accent sur la maîtrise d'un certain nombre de mécanismes, ceux que l'on jugera fondamentaux, grâce à des pratiques (et pas seulement des méthodes) pédagogiques efficaces aujourd'hui, et cela sans perdre ce progrès en matière d'originalité et d'aisance de l'expression qui a eu lieu ces dernières décennies".

Mais, Messieurs, si 45 % des élèves qui rentrent en sixième – ceux qui ne savaient pas lire en 1997 et dont le pourcentage a augmenté depuis - ont des qualités en matière d'originalité et d'aisance de l'expression, pourquoi faudrait-il leur apprendre des mécanismes comme lire, écrire, compter et calculer ?

Quant à la stratégie que propose M. Thélot et M. Joutard, elle les place dans la situation de celui qui veut apprendre les gammes à Glenn Gould. Il s'aperçoit en général que, si un pianiste a besoin d'apprendre ses gammes, c'est qu'il y a erreur sur la personne et qu'il ne s'agit pas de Glenn Gould. Nous souhaitons bien du plaisir à ceux qui veulent mettre ainsi la charrue avant les bœufs. [20]

Michel Delord
12/2003
http://michel.delord.free.fr/

 

 

1. V. Dejonghe, J. Levasseur, B. Alinaudm, C. Peretti, J-C. Petrone, C. Pons, Claude Thelot, Connaissances en français et en calcul des élèves des années 20 et d'aujourd'hui : comparaison à partir des épreuves du Certificat d'Etudes Primaires, Les Dossiers d'Education et Formations, n°62 , Ministère de l'Education Nationale, de l'Enseignement supérieur et de la Recherche, Direction de l'évaluation et de la prospective, février 1996. Noté CEP96 pour la suite.
2. http://membres.lycos.fr/reconstrlecole/Lois/certif2095.html
3.Michel Delord, Commentaires sur l'étude de la DEP de 1996, 25 Sept. 2003 ( 36 pages, 337ko)
http://michel.delord.free.fr/cep96.pdf . Noté CDEP pour la suite
4 A partir de la parution de "Le niveau monte" en 89, alors que l'on savait de manière sûre10 ans avant qu'il y avait 50% de reçus au CEP, aussi bien Baudelot et Establet que le SNUIPP et bien d'autres exhibent des estimations à la baisse du nombre de présentés et de reçus au CEP. Sur ce sujet, voir CDEP ( pages 7 à 12) :
Quelques poncifs
A) "Seule une minorité d'élèves avait le certificat d'études " ( P. 7)
1) Le SNUIPP
2) Le SNES par la bouche de Denis Paget
3 ) Et pour finir, bien sûr, Baudelot et Establet .
B) On ne dit pas combien ne savaient pas lire ou compter... l'école de Jules Ferry ne s'intéressait qu'à l'élite... ( P. 9)
5. Patrick Cabanel, La République du certificat d'études, Belin, 2002, 320 pages. Page 56.
6. CEP96, page 9.
7. Ces 20 problèmes sont des problèmes simples dont la maîtrise est aussi nécessaire en 1880 qu'en 2000 ou en 2050. En voici un exemple : "Une salle mesure 3,40 m de long, 2,90 m de large et 3,20 m de haut. Elle présente deux ouvertures : une fenêtre de 1,10 m sur 1, 80 m de haut et une porte de 1, 20 m de large sur 2,50 m de haut. Combien coûtera la peinture des 4 murs à raison de 3,25 F le mètre carré ?". La série complète qui a servi à la comparaison se trouve à :
http://michel.delord.free.fr/pb-cert.pdf
8. Pour s'en convaincre , lire l'annexe 1 où se trouve le programme du CEP et une comparaison entre les programmes de CM2 de 1920 et ceux actuels.
9.CEP96, page 11 à 13.
10. Exemple avec 72 divisé par 18 : 72-18= 54; 54-18 = 36 ; 36-18= 18. Donc 72:18=4.
11. " Il ne s'agissait pas… d'évaluer si l'élève avait choisi une opération convenant à sa démarche. Il s'agissait, quand l'élève avait choisi une opération quelconque, de déterminer dans quelle mesure il avait été capable d'effectuer correctement le calcul. Ainsi, si un élève avait choisi de faire une addition réitérée plutôt qu'une multiplication, ce sont ses compétences calculatoires en addition et non en multiplication qui ont été évaluées".
12. La situation est plus grave en arithmétique qu'en français car le ministre définit une priorité pour la langue - même si elle est contestable, elle évoque le problème - , mais ne dit rien sur l'arithmétique. Lorsque un élu le mentionne, il répond : "Il y a les calculettes ". In Cruauté mentale ministérielle de M. Ferry : Savoir peut-être lire et écrire mais ne pas savoir calculer
http://michel.delord.free.fr/cruaute.pdf
13. Avis sur le projet de Loi de finances pour 2003 ( n° 230) … par M. Pierre-André Périssol, député
http://www.assemblee-nat.fr/12/budget/plf2003/a0257-08.asp
14. Nonobstant l'avis d'un autre très puissant expert , M. Christian Forestier, qui n'a pas hésité à écrire que les aventures du bac de Juin 2003 représentaient " Une preuve, s'il en fallait, du bon niveau du bac" ( Le Figaro du 26 Juin 2003, page 8).
15. Source : Kirsch et Jungenblut, Literacy Profiles of American's Young adults - NY, 1985. Résultats confirmés dans les enquêtes suivantes.
16. Particulièrement en mathématiques où la caractéristique d'une bonne démonstration est sa concision.
17. Marie-Claude Bartholy, Jean-Pierre Despin, La gestion de l'ignorance, PUF, 1993. Page 60.
Cité dans : Roger Girod, L'illetrisme , collection Que-sais-je?, Mars 1997, page 81.
Au lieu de consulter des spécialistes comme M. Bentolila qui deviennent très grammairiens au moment où le vent tourne et qui adaptent le flou de leurs positions aux aléas des modes politiques ( comme par hasard, au moment où il est question de sécurité, il découvre un nouveau concept, l'insécurité linguistique ), les décideurs devraient d'abord lire la collection Que sais-je?.
18. Philippe Joutard et Claude Thélot, Réussir l'école, Pour une politique éducative , Le Seuil, 1999, 292pages.Page 61.
19. 40 % des enfants ne savent pas lire - Inacceptable
35 % des élèves entrant en sixième ne comprennent pas réellement ce qu'ils lisent et 9 % ne savent pas déchiffrer. Un bilan effarant. Si bien qu'apprendre à lire, à écrire et à compter reste, pour la France, une ambition tant culturelle que civique. Comment réagir ? Le Point 27/09/97 - N°1306 - Page 94.
http://www.lepoint.fr/education/document.html?did=110838
20. Jacques Barzun l'a dit bien mieux que moi il y a trente ans : Jacques Barzun, The urge to Be Pre Posterous
http://casemath.free.fr/divers/tribune/barzuns.pdf