IX ) IL FAUT BIEN CONCLURE

The whole is always more, is more capable of a much greater variety of wave states, than the combination of its parts... In this very radical sense, quantum physics supports the doctrine that the whole is more than the combination of its parts.

Herman Weyl : Philosophy of Mathematics and Natural Science (Princeton 1949)

 
Nous sommes partis d'une constatation : les conceptions pédagogiques officielles recommandent, depuis plus de vingt ans, l'utilisation massive des calculettes en prétendant
- que la pratique des opérations à la main est inutile voire néfaste
- que l'important est le "sens des opérations".
- que le temps libéré par l'utilisation des calculettes devait permettre de développer notamment le calcul mental
Ce texte s'inscrit d'abord en faux contre cette conception globale d'un triple point de vue :
- la compréhension réelle du sens des opérations n'est pas indépendante de la pratique de celles-ci, et la diminution recommandée de cette pratique ne peut qu'entraîner une baisse de la compréhension de leurs sens (ainsi qu'une baisse des compétences dans des domaines connexes –  mais non vus –  comme le calcul mental et le calcul algébrique envisagé autant du point de vue de sa pratique que de sa compréhension)
- le sens que les pédagogues modernistes donnent aux mots sens, compréhension, intelligence leur permettent d'affirmer ce qu'ils disent car ils en limitent le sens à ce qui est reproductible par un ordinateur, c'est à dire réductible à un algorithme. Cette vision est définie pratiquement dans les mêmes termes –  représentant le mécanisme informatique –  par la psychologie expérimentale et les spécialistes de la pédagogie,
- l'application pratique de cette vision pédagogique produit une baisse des capacités des élèves qui conduit elle-même, en l'absence de véritable critique, à des tournants qui se manifestent toujours par une baisse des exigences qui sert ensuite de nouvelle justification à une nouvelle baisse des exigences.

Un autre aspect non négligeable est le refus de considérer la suite des réformes depuis 1970 pour ce qu'elle est c'est-à-dire une suite logiquement et historiquement liée où la coupure fondamentale est effectivement la reforme des maths modernes, suite qui correpond effectivement à un perte du sens non seulement des opérations mais de l'ensemble des mathématiques.

- La fameuse question du sens, à un petit niveau, mais suffisant pour comprendre

On peut étudier le "problème du sens" en reprenant le livre de Rudolph BKOUCHE, Bernard CHARLOT et Nicolas ROUCHE : "Faire des mathématiques : le plaisir du sens".

Comme il fait dans la "défense du sens", Nicolas ROUCHE en donne un exemple :

"Toute conceptualisation, toute symbolisation prématurées, non justifiées par une familiarité suffisante avec un nombre approprié de phénomènes, ne répondant pas à des questions assez pressantes*, mettent en danger de tomber dans le pur formel.
Qu'est-ce que cela veut dire ? Puisque ce chapitre s'adresse à un public large, prenons un exemple élémentaire. Le lecteur se souviendra peut-être de la règle pour diviser par une fraction : on multiplie par la fraction renversée. Cela, c'est la règle, c'est le pur formel. Mais pourquoi procède-t-on ainsi ? L'explication est un retour au sens. Tentons-la.
Soit à diviser 6 par 2/5. Si on demandait de diviser 6 par 2 et non par 2/5, cela reviendrait à chercher combien de fois 2 va dans 6 et le résultat est 3, soit (1/2) x 6. Mais en fait, on veut diviser non par 2, mais par 2/5, ce qui est 5 fois plus petit. Donc 2/5 ira dans 6 cinq fois plus que 2. Le résultat est donc 5 fois plus grand, soit 5 x ( 1/2) x 6, soit ( 5/2) x 6."

* une remarque cependant : il est des questions qui ne sont pas pressantes du point de vue de "l'apprenant"** et qui peuvent cependant être fondamentales. Il importe, à moins de limiter à priori les connaissances nécessaires à l'horizon borné des intérêts forcément bornés de l'individu, de lui ouvrir l'esprit sur des questions qui peuvent ne pas être pressantes pour lui et, donc, en un certain sens, abstraites. On peut même dire que si nous sommes dans une société où les jeunes sont soumis au bombardement médiatique continu, il est peut-être utile de les sortir ou du moins de ne pas continuer à les maintenir dans l'enfer de leurs "questions pressantes".
** Remarque sur la remarque : il paraît que l'on peut dire maintenant; à la place de "un élève", non seulement "un apprenant" mais en plus et mieux "un s'apprenant"...

Prenons nous aussi un autre exemple :

"Soit à diviser 7/19 par 3/4.
Si l'on divise d'abord 7/19 par 3, on aura 7 / ( 19 x 3) ;
mais comme on a pris un diviseur 4 fois trop grand, le quotient est est 4 fois trop petit ; pour lui donner sa vraie valeur, il suffit de multiplier par 4 ; on aura (7x4)/(19x3). Ainsi (7/19):(3/4) = ( 7x4) / ( 19x3)"


Remarquons que l'exercice est plus difficile car le deuxième exemple explique la division d'une fraction par une fraction et non la division d'un nombre par une fraction.
Et de qui est-ce ? "Cours d'arithmétique" –  p. 94 –  par "une Réunion de Professeurs"des éditions Mame (Tours) Edition de 1925

J'ai choisi ce manuel mais c'était l'explication donnée dans tous les manuels de l'époque. L'explication de l'édition Mame peut sembler plus formelle car elle ne justifie pas la première étape alors que la version de Nicolas Rouche la justifie. L'explication est simple : était au programme, en 1925,  une règle qui a disparu depuis et qui était présentée dès le début du cours sur les fractions :

Dans le Mame 1925 :

"Théorème 108 ( p. 79) :
Si l'on multiplie ou si l'on divise le dénominateur d'une fraction par un nombre, la fraction est divisée ou multipliée par ce nombre.

Explication : Soit la fraction 7/8 ; si l'on multiplie le dénominateur par 3, on obtient 7 / (8x3) ou 7/24.
Les fractions 7 / 8 et 7 / 24 renferment le même nombre de parties, mais les parties de la seconde sont 3 fois moindres que celles de la première, par suite, la seconde fraction est 3 fois plus petite que la première.
De même, si l'on divise par 3 le dénominateur de la fraction 7/24, on obtient 7/8, fraction 3 fois plus grande. Donc..."

Et il faut rajouter une chose : on apprenait les théorèmes par coeur et on "donnait du sens" (c'est N. Rouche qui nous le dit puisqu'il donne le même exemple), les deux aspects se renforçant l'un l'autre. Maintenant comparez avec n'importe quel manuel actuel.

J'ai choisi l'exemple des fractions car c'est celui sur lequel s'appuie N. Rouche. On peut aussi citer par exemple l'intervention de Rémi Brissiaud sur le site du SNU-ipp ("Pourquoi s'y prendre à nouveau comme en 1970 ? ") qui critique d'une manière intéressante les IO du B.O. Special 7 en montrant la nécessité de l'apprentissage simultané de toutes les opérations, de l'apprentissage simultané de toutes les fractions (et pas seulement de celles supérieures à 1) et, en faisant référence à 1970, montre bien que nous ne sommes pas sortis de la problématique formaliste. Mais qui repart dans l'antienne :

"Un ouvrage récent (Analysis of arithmetic for mathematics teaching, 1992) présente une synthèse des recherches menées dans ce pays sur l'enseignement des mathématiques à l'école primaire. Dans le chapitre consacré à la division, on y recommande d'enseigner la technique des longues divisions. Mais, visiblement, les auteurs du projet d'IO en mathématiques ne se sont guère inspirés des travaux récents en psychologie de l'apprentissage".

Il est tout à fait préférable, pour la défense des "longues divisions", de reprendre, d'un strict point de vue mathématique, les positions de James Milgram et David Klein dans "The Role of Long Division in the K-12 Curriculum" que l'on trouve dans le site FTP de James Milgram  (Fichier long-division-try-again.doc), qui est basé sur des arguments qui ne dépendent pas des variations météorologiques "des travaux récents en psychologie de l'apprentissage".

Or, on n'a pas besoin des " travaux récents en psychologie de l'apprentissage" car les travaux d'avant, justement, les contredisaient, à moins d'expliquer justement pourquoi les résultats précédents les contredisaient (ce qui n'est justement pas fait). Il suffit, là aussi, de regarder les progressions à l'oeuvre jusqu'aux années 60 pour y trouver ce que la psychologie scientifique redécouvre, et seulement en partie, aujourd'hui. On a également vu que que la psychologie scientifique redécouvre, avec Alain Lieury et les "dernières découvertes" de cette science particulière, que la mémoire est importante : mais ceci est agrémenté d'affirmations du type " le fait que le canari respire est une propriété rare du canari" ou "comprendre, c'est d'abord classer" et est pour le moins ambigu sur les raisons qui ont fait que la psychologie scientifique passait pour tout aussi scientifique alors que, justement, la scientificité permet normalement de déceler les causes de l'erreur qui doivent être mises en avant pour éviter qu'elles ne se reproduisent.

Mais on peut montrer que, sur toutes les parties du programme qui font partie des "fondamentaux" (en n'oubliant pas, comme le programme de CM2 en math incluait les nombres premiers, que nous allons, dans certains domaines vers des "compétences" qui ne sont requises qu'en première S actuelle) , on trouve dans les années 1890-1940 et jusqu'aux années 50/60 des contenus, des progressions qui ont une valeur –  même du point de vue du "sens" –  supérieures à toute la production des IUFM, des cognitivistes de l'INRP et des IREM réunis.( 10 ).
 

- Les "Fondamentaux" sont "Fondamentaux":

a) "Fondamentaux" ou "Lire, écrire, compter, calculer" :

Je préfère "Lire, écrire, compter, calculer" car le modernisme de la formulation ne vise qu'à introduire subrepticement des "compétences" du type connaissance de l'image ou apprentissage de l'oral –  dont la maîtrise précise est en fait dépendante de la maîtrise de l'écriture et du calcul –  pour ensuite mettre ces mêmes nouvelles compétences comme prioritaires dans l'apprentissage, c'est-à-dire à abandonner justement les formes fondamentales des fondamentaux, ce qui rend impossible à son tour et la compréhension de l'image et la maîtrise de l'oral mais produit le "psittacisme participatif". L'exemple de la réforme des collèges est exemplaire : on constate une faiblesse des élèves pour la lecture et l'écriture... et l'on met en avant "les langages, l'oral et l'image" comme le dit Ségolène Royal :

"La maîtrise de la lecture et des langages constitue pour moi la grande question posée à l'école. On tire ce fil et tout vient. Il est ce qui relie entre elles toutes les disciplines, ce qui révèle sans ambiguïté la dépendance réciproque (donc la solidarité possible) de la maternelle, de l'élémentaire et du collège, le lien qui ligote ou le fil conducteur qui affranchit. Ce n'est pas une question technique (même si elle a des dimensions techniques), mais une question fondamentalement politique : au-delà de l'égalité formelle de tous les élèves devant l'école et en dépit de tout ce qui peut par ailleurs les faire dissemblables, quelle égalité réelle la République veut-elle pour ses enfants, tous ses enfants, concernant le pouvoir de dire et de lire, de comprendre et d'échanger, en mots et en images
....
Trois grandes questions structurent ces États généraux, qui constituent les thèmes des trois tables rondes :

– la question de la diversité des publics et de l'unicité des missions de l'école au regard de la maîtrise de la lecture et des langages ...

– la question de l'évolution du métier d'enseignant, des changements subis et des changements souhaitables dans les pratiques professionnelles ;

– la question de la conjugaison nécessaire des différents langages – lu, écrit, oral, image – dans une école qui, pour différentes raisons, leur reste encore modérément ouverte, alors que, dans le monde alentour à certaines conditions, l'effet de levier d'un langage à l'autre peut fonctionner efficacement au service des apprentissages scolaires, comme en témoigne le programme Télécole mis en place dans plusieurs écoles sous la conduite de Maryvonne Masselot-Girard."

[Note de Fevrier 2000: Ce texte de SR a été retiré du site du CRDP et a été remplacé par un résumé . je possède l'original]

Or ce discours n'est pas propre à Mme Royal et on le retrouve chez un "scientifique" moderniste comme Gilles de Gennes, qui dans Le Monde du 26 Février 1999, vante les joutes oratoires des lycées américains : il est bon, en ce sens, de rappeler deux choses très désagréables pour les admirateurs béats du miracle américain et pour les formes de la science correspondantes :

 
- au niveau de la constatation des faits : les États-Unis comptaient déjà en 1985 (Source : Literacy Profiles of American's Young adults - Kirsch et Jungenblut NY), résultats confirmés dans les enquêtes suivantes

- 20% de victimes de l'illetrisme parmi les titulaires de diplômes d'études supérieurs  y compris universitaires)
- 50% de victimes de l'illetrisme parmi les diplômés de l'enseignement secondaire (y compris études supérieures partielles)

- au niveau "théorique" : un des plus fameux représentants –  cité au tout début de ce texte –  et de la pédagogie américaine et de la psychologie expérimentale –  qui a inventé l'adolescence moderne théorisée comme "Communauté statistique" –  est Stanley Hall (les cognitivistes et les théoriciens de la pédagogie n'aiment pas trop que l'on évoque ce père fondateur ainsi que la filiation Hall / Dewey) :

 "Nous devons dépasser le fétichisme de l'alphabet, de la table de multiplication, de la grammaire des gammes, du livre, déclarait-il, et nous devons nous dire que nos ancêtres étaient, il y a quelques générations,illettrés... Que Cornélie, Ophélie, Béatrice et même la bienheureuse Mère de Notre-Seigneur ne savaient ni lire ni écrire". Et David Boorstin explique la position de G.S. Hall : "Prévoyant le déclin de la grammaire et le règne de la langue parlée dans l'Amérique du XXème siècle, il annonça aussi que la grammaire, la rhétorique et la syntaxe seraient remplacés par "les arts du langage" plus démocratiques et l'expression orale en public. D'après lui, la langue n'aurait jamais dû faire l'objet d'un enseignement formel. L'enfant devait être invité à parler, dire ses sentiments, quels qu'ils soient, de préférence avec toute la spontanéité et la fraîcheur de son langage à lui. Il devait "vivre dans un monde de discours sonore". "

(in D. Boorstin : "Histoire des Américains" Chap 27 de la partie "Communautés statistiques" p 1098 - 1109 - Ed. Bouquins)


Cet aspect est aussi fondamental dans le B.O. special 7 consacré au français en primaire.

b) Les "Fondamentaux" sont "Fondamentaux"

Ce texte visait, entre autres, à montrer que la maîtrise du calcul arithmétique était inséparable de la maîtrise des opérations, que la maîtrise de l'algèbre était inséparable et avait pour base la maîtrise du calcul arithmétique. On pourrait monter la même chose pour tous les fondamentaux, ce qui signifie une défense de la notion de progression et de programmes : cette défense n'est pas inutile car la pédagogie de projet est une négation de la notion de progression et des spécialistes de la didactique des mathématiques n'hésitent pas à en diminuer l'importance. Par exemple R. Bkouche, B. Charlot et N. Rouche n'hésitent pas à écrire à la page 55 de "Faire des mathématiques : le plaisir du sens" :
 

"Par delà ces efforts pour ancrer l'apprentissage des mathématiques dans une plus grande épaisseur de sens, on pourrait faire encore bien des propositions. On en trouvera ailleurs dans cet ouvrage... Les moins urgentes sont peut-être celles qui concernent les programmes et les manuels. C'est qu'on en a de tout temps produit de nouveaux, mais sans aboutir à généraliser dans les classes la liberté, la mobilité de pensée qui sont les garants d'un apprentissage profond"


Ceci a une conséquence fondamentale : l'enseignant n'est pas le maître de sa classe car justement les limites de sa liberté –  qu'il est bien obligé de reconnaître à moins de les nier à partir de la pédagogie de projet où tout est possible à partir de n'importe quoi, ce qui peut être vrai mais seulement dans des cas particuliers – sont déterminées par les capacités des élèves qui arrivent dans sa classe. S'il est attentif à une compréhension profonde de ce qu'il enseigne, il est bien obligé de revenir –  à TOUS LES NIVEAUX ET DANS TOUTES LES MATIERES –  justement aux "fondamentaux " de sa discipline –  et des autres disciplines car les disciplines ne représentent que des facettes de l'activité humaine –  ce qu'il fait qu'il prend du retard sur le programme et justifie ainsi la baisse constante des exigences en matière de programme, baisse défendue au nom de la lutte contre la "sélection" (ce qui est une double tromperie car la baisse des exigences s'est accompagnée d'une accentuation de la sélection), qui pose le problème non pas de la valeur des diplômes, mais de l'abrutissement des élèves placés en permanence dans une situation ou ils ne peuvent pas apprendre car apprendre des savoirs exclusivement procéduraux finit par paralyser leurs esprit. On constate très bien ce phénomène en collège où les élèves de troisième se sont habitués au "sens profond de l'apprentissage scolaire" pour "avoir le brevet " et qu'ils ont perdu la fraîcheur de leurs questions naïves de sixième où perçaient un désir de connaître : ils ont compris que l'essentiel dans un devoir est de "faire des points" ( 9 ) et non de faire un problème en entier pour comprendre une situation (il est vrai que peu de problèmes visent ce but et que l'on ne peut se permettre de viser la compréhension d'une question si l'on sait que le temps autorisé est à priori limité et que l'essentiel est "d'avoir une bonne note"). Et, au moment ou l'on s'oppose au bachotage en maintenant le bac (ou plutôt une fiction), on accentue ce même bachotage en intégrant les résultats du brevet comme critères d'évaluation des établissements, "pour optimiser le rendement du système éducatif", ce qui va encore accentuer l'optimisation de l'imbécillité. Le problème est que l'allégement des programmes –  pour les fondamentaux –  signifie l'augmentation de l'échec scolaire (mesuré en capacités réelles et non en taux de passage ou en pourcentage de reçus aux examens) car on sabre ainsi une partie des fondamentaux qui empêchent la compréhension de ceux qui restent enseignés, ce qui produit à nouveau une exigence de suppression d'autres fondamentaux. Cette terrible dialectique est à l'oeuvre dans tous les programmes depuis le primaire jusqu'au lycée.
 

c) Les fondamentaux sont fondamentaux pour les "non fondamentaux"

Si chaque prof se croit maître de sa classe, si le prof de maths croit que la compréhension des maths est indépendante de la maîtrise du français et si le prof de français fait de même, si le lycée pense résoudre ses problèmes de manière autonome, si le collège fait de même et fait tout retomber sur l'école primaire, tout le monde tombant sur le dos des parents devenus irresponsables (et nous avons le piège tout prêt de l'autonomie des établissements) , l'abrutissement généralisé va s'accentuer.
La réaction qui ne permet pas d'enrayer ce processus mais qui, au contraire donne des arguments au ministère pour contrer ses opposants, est la réaction corporatiste qui se manifeste
- par la mise en avant exclusive de la baisse de niveau des élèves (alors que celle-ci est réelle, mais que la responsabilité ne doit pas retomber sur les élèves mais en revient collectivement aux organisations représentatives de leurs parents et de leurs enseignants qui non seulement n'ont pas su s'opposer aux reformes successives mais les ont soutenu dans leurs principes en disant au mieux qu'il y avait un risque peut-être mais que l'ensemble était positif, ce qui correspond exactement aux directives démagogiques qui disent qu'il faut "positiver" ce qui décrit bien l'idéologie pédagogiste, c'est-à-dire qu'il faut se mettre au niveau de l'inventeur de ce concept scientifique : la chaîne des magasins Carrefour et pire encore son staff chargé de la "communication")
- la défense de sa matière (alors qu'elle est dépendante des autres matières)
- la défense de sa matière à son niveau (alors qu'elle est dépendante des niveaux précédents)

d) Comment échapper à la spirale infernale ?

Si l'on admet

- que la grande coupure dans l'enseignement des mathématiques se situe en gros en 70, date de l'avènement des maths modernes : c'en fut effectivement une –  ses partisans la désirait même comme une "véritable révolution" – , ce qui peut se montrer facilement à la simple lecture des textes des programmes et des IO d'avant et d'après 70. Ce qui peut se montrer facilement à condition que les simples textes des programmes du primaire et des Instructions Officielles d'avant 1970 soient accessibles, ce qui, de plus, représente un volume de texte assez faible puisqu'il n'y a eu que des changements mineurs de 1882 à 1970. Ceci montre une différence de plus avec les programmes d'après cette date qui, en 30 ans, ont eu beaucoup plus de modifications fondamentales et de rectifications secondaires incessantes que les précédents en 90 ans. Mais ils ne sont pas disponibles : ne voudrait on pas que l'on compare ? J'ai connu suffisamment de formateurs qui prétendaient que je mentais lorsque j'affirmais que la division était commencée en CE1 ou que les nombres premiers étaient au programme de l'école primaire pour subodorer que l'on ne veut même pas exhiber ces textes qui ne vont pas très bien avec la fable du "niveau qui monte" en primaire. Une partie des progressions de 1882 et 1923 se trouve ici  mais sera suivi par l'édition d'autres textes historiques.

- que, contrairement au discours dominant des pédagogues qui prétendent que la problématique des maths modernes a disparu*, il y a une continuité entre les conceptions pédagogiques et les programmes depuis 70 et la contre-réforme qui l'a suivie mais cette continuité marque une aggravation de l'état de l'enseignement. La continuité peut se repérer en repérant des points nodaux : dans les enseignements fondamentaux en géométrie, la disparition des cas d'égalités des triangles en tant que base indispensable de l'apprentissage d'une conception cohérente de la preuve en mathématiques, en calcul la sous-estimation (maintenant le terme est faible) de l'importance du calcul numérique et l'abandon des progressions classiques sur l'apprentissage des opérations et de la proportionnalité

 
* Ce qui est vrai au niveau formel par exemple au niveau de la disparition des mots (jusqu'à très récemment, il était même quasiment interdit d'en prononcer certains) mais qui est faux au point de vue du sens. D'autre part, les partisans des maths modernes se sont toujours proclamés, hors de la question des contenus, partisans de la réforme pédagogiques et, dans ce domaine, les ténors actuels se réclament toujours ouvertement de la continuité avec la reforme des années 60/70

- que, à part ceux qui tiennent mordicus à la version officielle qui affirme que nous sommes toujours en progrés –  et même Meirieu est obligé d'abandonner ses dadas sous la pression des faits – , la tendance, sous la pression des mêmes faits, est à remettre en avant ce qui était des caractéristiques d'avant 70 : recours à la mémoire, pratique classique des opérations apprises quasiment simultanément, retour au sens qui était bien mieux représenté dans les progressions classiques (Cf. le texte cité de Nicolas Rouche sur les fractions). Dans ce domaine, le risque majeur est qu'un retour "en arrière" soit effectué sous une direction imbue de l'idéologie actuelle qui ne comprend rien à l'esprit des anciennes progressions –  ou qui n'en retire que son aspect formel – , ce qui risque de produire une réaction qui aurait exactement les défauts du "Back to basics" américain des années 80. En ce sens, les brillants défenseurs actuels du sens peuvent devenir –  surtout s'il y a des sinécures à la clé –  les pires défenseurs des "authomatismes", ce qui serait dans leur logique car il ne défendent pas le sens mais la mécanisation de la pensée.

- que la conception pédagogique à l'oeuvre ne possédant pas une vision cohérente mais atomisante de la pédagogie propose des allégements sous la pression de la baisse réelle des capacités des élèves, ne voyant pas que, au contraire, l'abandon de parties des fondamentaux ne facilite pas la réussite des élèves mais au contraire les empêche de comprendre le reste de ces mêmes fondamentaux et pousse une fois de plus à des allégements qui ne feront qu'aggraver encore la situation. Seul ce qui est difficile est intéressant, c'est-à-dire peut susciter l'intérêt : ce qui signifie reprendre justement les positions de l'Inspection Générale en 80 qui disait " Il n' y a pas de mathématiques sans larmes" ni les conceptions faussement antagoniques qui démagogiquement prétendent que les mathématiques –  ou tout autre activité qui ne consiste pas à se servir comme on se sert dans un distributeur de boisson –  sont faciles.


alors il faut en revenir globalement*, pour les enseignements fondamentaux** aux progressions qui ont fait leurs preuves historiquement au niveau mondial.
J'attends de pied ferme toute argumentation sérieuse contrant cette position affirmée volontairement de façon lapidaire. J'affirme simplement que toute position antagonique est pire et que le fait de tarder –  encore –  rendra la décision encore plus difficile si elle n'est pas déjà impossible.

* Ceci ne signifie pas que les progressions d'avant 70 étaient sans défauts : il est manifeste, par exemple, que l'on pouvait faire sept ans d'Anglais entre 1950 et 1960 et être incapables de demander son chemin en dans une ville anglaise et, si l'on était arrivé à se faire comprendre, à ne pas comprendre la réponse. Mais l'on avait une connaissance de la culture classique anglaise et de l'écrit bien supérieure au niveau actuel. La solution n'est pas ce qui a été fait , c'est-à-dire d'opposer l'écrit et l'oral mais dépend aussi d'une bonne connaissance de la grammaire française. Mais ce n'est pas le lieu ici d'en discuter pas plus que de l'ensemble des problèmes aussi réels liés à la formation des enseignants.

** On ne pourra pas poser réellement le problème d'un niveau donné avant que les élèves, reprenant un nouveau cursus, n'aient atteint ce niveau : ce qui signifie que si une "réforme" était applicable en CP en 2000-2001, elle ne pourrait que s'appliquer en 2005-2006 en sixième et 2011 en Terminale. Mais, même s'il est possible de prendre des mesures temporaires qui consistent essentiellement à compléter les manques des fondamentaux donnés – Hé, oui , il est utile d'enseigner en fac de chimie les nombres premiers et la règle de trois si l'on veut que les étudiants sachent équilibrer leurs équations et cela est d'ailleurs déjà fait mais sans le rendre publi –  cela suppose de toutes façons d'expliquer qu'il y a des générations sacrifiées –  ce n'est pas moi qui l'ai fait –  et de parler vrai une fois n'est pas coutume pour ne pas mentir : c'est la seule condition qui garantira la confiance et l'appui de tous les secteurs concernés. D'autre part, on peut s'appuyer sur des contenus qui exitent déjà et qui sont hors du droit d'auteur, mais c'est peut-être le principal obstacle justement.
 

L'avenir le dira

Il n'est pas déraisonnable de se poser la question du devenir de l'Éducation nationale (fut-elle laïque, obligatoire et nationalisée) au vu de son état actuel et des possibilités existantes de l'empêcher de se transformer définitivement en instrument "d'edutainment", c'est-à-dire de décervelage incapable même d'apprendre aux enfants à lire, écrire et compter : la réponse pratique viendra assez vite. On verra si la société est capable de faire naître un mouvement s'opposant à cette véritable dégénérescence et si l'administration le tolérera.
Quoi qu'il en soit, et l'exemple des progressions en mathématiques suffit à le prouver, la pédagogie "classique", bien que possédant un savoir-faire supérieur en qualité à celle des modernistes, n'a pas pu résister à la vague du décervelage structuraliste qui n'a pas commencé en 68. Pour qui veut se poser quelques vraies questions, la pierre de touche n'est donc pas la critique des modernistes mais la critique de l'impuissance des vaincus, sous peine de vouloir, au prix d'une perte d'énergie considérable, reconstruire un système qui a logiquement abouti au désastre actuel.

Michel DELORD
Texte écrit entre Mars 1999 et Février 2000


 

Digestif : Un dernier verre –  de sens, d'intelligence et de technique reconnue reconnue en tant que telle –  pour la route

a) Petit test sur la division
Les thèses modernistes prétendent que l'on peut ne pas savoir effectuer une opération à la main et en avoir compris le "sens" pour l'effectuer à la calculette ; plaçons-nous sur leur terrain et faites le petit test suivant (en quatrième, en troisième, en seconde...) :

Demander quel est le reste, correspondant au quotient au 1/10, de la division de 2,7589645 par 0,7 (calculette autorisée)
Demander quel est le reste, correspondant au quotient au 1/10, de la division de 3,7589645 par 0,7 sans calculette (puisque l'opération n'est pas vraiment difficile et doit correspondre aux capacités d'un élève de quatrième actuel, c'est-à-dire à un élève de CM il y a trente ans)

Je l'ai fait dans mes classes de quatrième en comparant les resultats en fonctions des progressions – partielles –  précédentes des élèves : je vous laisse deviner les résultats.

b) Intelligence : Maths modernes, Maths anciennes

Ceux qui avaient d'abord fait des maths anciennes ont compris les "maths modernes" –  truisme : ce sont eux qui les ont inventé – . Mais le contraire n'est pas vrai.
Test : faire exécuter à un élève de TS, à un élève d'IUFM, à un jeune professeur des écoles ou des collèges, le petit exercice suivant du Cours Supérieur Première Année en 1940, qui est justement sensé vérifier si l'élève, l'année suivant le CM2, a compris le "sens " de la multiplication, marotte des modernistes :
Tiré de M. Royer et P. Court : Cours d'Arithmétique Librairie Armand Colin - 1940 - où chaque leçon était suivie de ce qui était appelé des "Exercices d'intelligence" qui devaient être correctement rédigés (le résultat numérique pouvait être donné par le maître).
.
Exercice d'intelligence N° 427 (suivant la leçon sur la multiplication qui comporte une partie appelée "Sens de la multiplication" !!!!) :
Je cherche le prix de 5 m. de drap à 8 F. le mètre. Quel nombre dois-je choisir comme multiplicande ; comme multiplicateur ? Pourquoi ?

Pour le plaisir, en voici un autre :

Exercice d'intelligence N° 432 :
On multiplie un nombre séparément par 7 et par 13, la différence des deux produits est 390. Quel est ce nombre ? Expliquez à l'aide d'un problème. [Attention, on n'a pas droit à la distributivité]


Introduction

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