Délit d’opinon : la résistance paie


1. LE RAPPEL DES FAITS :

Les professeurs bientôt sanctionnés pour délit d’opinion ?

11 février 2003 : Une collègue de lettres de l’académie de Rouen, Agnès Joste, membre du collectif Sauver les Lettres, est sanctionnée en Commission paritaire académique (CAPA) pour avoir tenu des propos et rédigé des écrits hostiles à la réforme des programmes de français au lycée.

Cette collègue postule à la hors-classe des agrégés, comme c’est son droit et comme elle le fait depuis plusieurs années. Jusqu’alors, elle avait toujours bénéficié d’avis favorables.

On ne fait à cette collègue aucun reproche professionnel, au contraire... mais elle vient de publier cette année un livre très critique à l’égard de la réforme des programmes de français au lycée. Et cette année justement, elle reçoit un avis défavorable pour l’accès à la hors-classe…..

Pour résumer les faits : à l’annonce, en Commission, de l’avis défavorable qui touche Agnès Joste, les délégués syndicaux demandent des explications. Un Inspecteur pédagogique régional de Lettres présent à la CAPA les fournit. Il annonce qu’il existe sur ce professeur un rapport dont il est l’auteur. Pourtant, il ne l’a jamais inspectée.

Il déclare que dans un livre récent, " Contre-expertise d’une trahison ", sur le site de " Sauver les lettres ", et dans des interviews à FR3, elle s’oppose de façon incessante aux diverses réformes qu’il a, comme inspecteur, la charge de mettre en œuvre, ainsi qu’à l’application des instructions ministérielles. L’IPR évoque aussi l’existence d’une pétition signée il y a deux ans par Agnès Joste et les collègues de lettres de son lycée.

Les élus enseignants SNES, FO, SGEN, SNALC, décident alors de se réunir à huis-clos pour se concerter et la CAPA est momentanément suspendue. Ils s’accordent tous sur le caractère scandaleux de cet avis défavorable, sur la nécessité de demander un vote à son propos et de voter contre cette sanction.

Après cette interruption de séance, ils demandent unanimement au Recteur de reconsidérer son avis. Le Recteur maintient son avis défavorable. Ils déclarent alors que cet avis a un relent d’ " ordre moral " et qu’il paraît s’expliquer par la récente publication de l’ouvrage d’Agnès Joste sur la réforme du français au lycée. Ils demandent enfin à ce que la CAPA se prononce à bulletins secrets sur cette sanction. Un élu syndical n’étant malheureusement pas présent, le résultat du vote est le suivant : 9 pour, 8 contre.

Ces indications ne restituent pas l’intégralité des échanges portant sur cette question, mais en expriment l’essentiel.

La sanction subie par cette collègue de lettres a paru constituer un grave précédent, et cette décision a suscité bien des questions légitimes.

Le ministère et les serviteurs zélés des réformes seraient-ils si peu convaincus eux mêmes de leur valeur qu’ils ont besoin de sanctionner toute critique à leur encontre? Croient-ils que l’enseignement s’oppose à la libre réflexion des professeurs qui sont chargés de le dispenser ? Seraient-ils si peu respectueux du droit, pour faire intervenir à charge des publications personnelles, dans des instances professionnelles normalement indépendantes ?

. Après cette collègue de lettres, à qui le tour ? Les enseignants seraient-ils bientôt contraints de renoncer à leur liberté d’expression de citoyens ?

2. RÉACTION ET RÉSISTANCE.

La décision de la CAPA a provoqué une vive émotion. Un grand nombre de professeurs de tous degrés et de toutes disciplines est aussitôt averti, notamment par le biais d’internet, et se déclare prêt à réagir et à soutenir Agnès Joste. Son éditeur, Mille et une Nuits, adopte la même position.

Deux lignes d’action sont suivies pour la protestation. Tout d’abord la voie normale de recours administratif : Agnès Joste demande au rectorat la consultation de son dossier, et la motivation écrite de la sanction qui la frappe, mentionnant notamment quel changement a pu intervenir depuis l’année précédente, modifiant sa compétence de professeur. Cette demande effectuée par voie hiérarchique est soutenue par son chef d’établissement, qui se fonde sur des motifs strictement professionnels.

Parallèlement, des démarches syndicales sont entreprises. Les commissaires paritaires FO présents à cette CAPA en font un compte-rendu qu’ils diffusent. Le SNES académique rencontre à deux reprises le secrétaire général du recteur, plaidant le dossier et demandant la levée de la sanction. Les instances nationales de ces syndicats sont prévenues, d’autres syndicats se disent prêts à un mouvement unanime. Le collectif Sauver les Lettres prépare une riposte, envisage une pétition nationale collective et intersyndicale, et un recours au ministère en cas d’échec de ces démarches.

Le chef d’établissement, à sa demande, rencontre le recteur le 12 mars et prolonge à son tour le débat, en faisant évaluer les implications et les lourdes conséquences du maintien d’une telle mesure illégale de sanction, et en soulignant le hiatus choquant entre une sanction locale et la confrontation d’audience nationale qu’Alain Viala, le président du groupe d’experts de Lettres, a bien voulu accepter avec Agnès Joste dans le numéro de mars du Monde de l’Education.

3. LA LEVÉE DE LA SANCTION.

Le 13 mars, le secrétaire général du rectorat de Rouen annonce par téléphone au chef d’établissement que la sanction par avis défavorable de la CAPA est levée, et que le dossier d’Agnès Joste sera transmis au ministère au même titre que les autres dossiers académiques de demande d’accès à la hors-classe.

Une histoire qui se passe de commentaires.

Le collectif Sauver les lettres.

13 mars 2003