Uvinertisé de Cmabrigde


J'ai récemment écrit un article dans lequel j'ai sévèrement critiqué les méthodes globales et semi-globales utilisées pour l'apprentissage de la lecture. Après la diffusion de cet article auprès de nombreux collègues, un petit texte intrigant m'a été proposé à plusieurs reprises (probablement pour alimenter ma réflexion).

Le voici dans son intégralité :

Sleon une édtue de l'Uvinertisé de Cmabrigde, l'odrre des ltteers dans un mtos n'a pas d'ipmrotncae,la suele coshe ipmrotnate est que la pmeirère et la drenèire soit à la bnnoe pclae. Le rsete peut êrte dans un dsérorde ttoal et vuos puoevz tujoruos lrie snas porlblème. C'est prace que le creaveu hmauin ne lit pas chuaqe ltetre elle-mmêe mias le mot comme un tuot.

Tout comme la majorité des personnes qui ont eu ce texte sous les yeux, vous avez probablement réussi à le lire sans difficulté. Pour expliquer ce fait l'auteur nous livre une conclusion définitive (apparemment logique) qui s'attache à relier cette possibilité à la morphologie des mots qui le composent. " Si cette opération intellectuelle est possible, c'est que le cerveau ne lit pas chaque lettre des mots mais considère ceux-ci comme un tout ".

Tout d'abord quelques remarques s'imposent.

- L'auteur nous dit que l'ordre des lettres peut être bouleversé mais il précise toutefois que les premières et dernières lettres doivent être à la bonne place. Il n'apporte aucune explication à cette condition qui nous le verrons plus loin a son importance.

- Je note d'autre part une certaine ambiguïté dans la formulation, l'auteur semble vouloir nous dire que les mots sont reconnus globalement comme une entité ( il dit un tout ) or, hormis quelques rares ''mots outils'', ce texte ne contient aucun mot connu morphologiquement correct.

- Si dans ce texte l'ordre des lettres a effectivement été bouleversé, je remarque que ces lettres ont été mélangées de façon à ne pas modifier de manière trop importante la morphologie générale des mots. Il y a en effet beaucoup d'inversions simples, et les voyelles sont réparties de façon régulière.

Si je suis la ''logique'' de l'auteur il y a pour un seul mot un nombre très important de combinaisons possibles, ce nombre de possibilités est donc d'autant plus important que le mot est long. D'après lui il n'y a pas de différence entre ces combinaisons car le cerveau sait instantanément retrouver dans ce magma LE mot qui correspond à son dictionnaire lexical individuel. Hormis sa conclusion définitive, il n'explique bien entendu ni pourquoi ni comment cela est rendu possible, il se contente d'établir un lien direct entre la forme des mots et la possibilité de les lire.

Tentons ensemble de dépasser ce ''constat'' un peu simpliste.

Isolons par exemple le mot CMABRIGDE et imaginons que suite à une erreur de frappe le A ait été remplacé par un E, le lecteur persuadé par sa logique (nous verrons plus loin de quelle logique il s'agit) pense que le mot est bien CAMBRIDGE, il observe un moment d'arrêt : " Je ne comprends pas ! Je suis persuadé que c'est le mot CAMBRIDGE mais il y a un E à la place du A ! " Le lecteur aurait hésité puis aurait probablement corrigé de lui-même cette erreur en se référant à sa connaissance du code alphabétique et orthographique. Ce TOUT dont nous parle l'auteur se réfère évidemment à un ensemble de lettres qui ne sont effectivement pas lues mais identifiées avec rapidité et précision.

L'auteur nous affirme que les mots sont reconnus comme un tout, mais ce tout se réfère obligatoirement à l'ensemble des lettres qui les composent en effet, le lecteur est capable de repérer une erreur de lettre, une lettre manquante ou une invraisemblance orthographique. ON NE PEUT PAS DISSOCIER LE CONTENU DU CONTENANT.

Le lecteur a identifié le mot CAMBRIDGE et ce malgré une faute d'orthographe, cela prouve que cette reconnaissance se réfère à un mécanisme intellectuel totalement indépendant de la forme.

Nous sommes maintenant au jeu " LES CHIFFRES ET LES LETTRES ".

Voici le tirage ( Le but est de former un mot de neuf lettres) : E.I.R.L.O.B.L.C.E

Réfléchissez 10 secondes.........STOP !

Tentez d'analyser l'opération intellectuelle mise en œuvre.

Après une identification rapide des lettres tirées, vous tentez diverses combinaisons en déplaçant mentalement des lettres, en formant des syllabes en utilisant également votre mémoire visuelle le tout en référence au code grapho-phonétique de la langue française.

PAS FACILE !

Les mêmes lettres sont proposées mais cette fois-ci on vous précise que la première et la dernière sont à la bonne place( d'après l'auteur vous devriez trouver le mot instantanément)

Est-ce le cas?

C.I.R.L.O.E.B.L.E

Toujours pas facile, mais vous avez plus de chances grâce à l'indice à la fois visuel et phonétique apporté par la première et la dernière lettre. Le champ de recherche se trouve considérablement restreint.

Le tirage est toujours le même, mais on vous donne maintenant un indice oral.

" On peut y mettre des fruits "

Il s'agit bien sûr du mot : CORBEILLE

Notons que dans cette troisième proposition, le mot aurait pu être trouvé sans indice visuel. Dans cette formule, on est proche du jeu de devinette( le pendu) les lettres proposées viennent uniquement confirmer la nature du mot trouvé grâce à un indice sémantique énoncé oralement.

Que s'est-il passé pendant cette recherche ?

Tout d'abord le lecteur a rapidement essayé un certain nombre de combinaisons pour trouver un mot sensé qui soit phonétiquement lisible en référence à son répertoire lexical personnel, le tout étant vérifiable grâce au code grapho-phonétique de la langue. Dans un deuxième temps la recherche s'est recentrée grâce à l'indice fourni par la première et la dernière lettre. Finalement, c'est l'indice sémantique qui a permis de rapidement identifier le mot.

On peut remarquer que la deuxième phase de ce jeu correspond bien à la définition proposée par l'auteur et pourtant, en dehors de tout contexte sémantique la découverte du mot n'a pas été automatique....Loin de là !

L'auteur nous présente le cerveau comme un organe figé qui ne fait qu'exprimer une potentialité innée, mais le cerveau n'est pas vierge, pour pouvoir lire il doit passer par une phase d'apprentissage, la seule chose qui soit innée c'est la potentialité de l'accès à la lecture. Derrière ce cerveau il y a un lecteur qui a été soumis à un entraînement puis à une pratique qui lui ont permis de bien posséder le code alphabétique, de se construire un répertoire visuel et surtout de pouvoir anticiper sa lecture à l'aide de nombreux indices fournis par le contexte; le code lui permettant de vérifier son intuition et d'orienter sa recherche.

Revenons au texte, on remarque que le premier mot important est ''UNIVERSITE'' Celui-ci est facilement reconnaissable dans une approche du type'' chiffres et lettres ''.UNIVERSITE est suivi du mot ''de'' ce qui implique logiquement le nom d'une ville; à partir de ce moment la réaction en chaîne est engagée.

On peut également remarquer que le texte traite d'un problème qui concerne le monde enseignant, le contexte culturel est fort et vient renforcer les indices sémantiques. On peut par contre se demander ce qu'il en serait si par exemple le texte parlait de menuiserie, d'astronomie ou de paléontologie.

On a vu que l'interprétation de l'auteur était fausse mais en dehors de cette interprétation erronée ce type d'exercice peut-il être généralisé?

Petite expérience:

Voici un petit texte qui correspond exactement au protocole défini par l'auteur.

(Les premières et dernières lettres des mots sont à la bonne place)

LA CDECANE DE CET OTRIAROO SELBME ECVSSEIXE PUOR UN CEITVALICNSE NTPOEYHE.

Vous avez réussi BRAVO ! Vous êtes un excellent lecteur et vous appartenez probablement à un groupe socioculturel privilégié.. Vous n'avez pas réussi, je peux donc arrêter là ma démonstration, l'affirmation de l'auteur est mise à mal car en effet, il suffit qu'une théorie ne soit pas vérifiée ne serait-ce qu'une fois pour qu'elle soit invalidée.

LA CDECANE

Sur ce premier mot vous effectuez obligatoirement une opération ''chiffres et lettres'' en jetant un coup d'œil sur la suite pour tenter de prendre des indices sémantiques.

DE CET OTRIAROO

Ici vous utilisez votre bagage culturel

SELBME ECVSSEIXE POUR UN CEITVALICNSE

Contexte+culture

NTPOEYHE

Richesse lexicale

Réponse:

LA CADENCE DE CET ORATORIO SEMBLE EXCESSIVE POUR UN CLAVECINISTE NEOPHYTE.

Il est maintenant clair que la lecture du texte proposé par l'auteur a été rendue possible grâce à la combinaison de deux facteurs. Tout d'abord les lettres ont été mélangées de façon à ne pas trop troubler la morphologie générale des mots ; d'autre part les indices sémantiques fournis par le contexte ont permis une lecture du type ''réaction en chaîne''. Il est également clair comme le prouve l'exemple ci-dessus que cette situation ne peut absolument pas être généralisée. Malgré tout on peut se risquer à proposer une explication un peu plus pertinente que celle qui nous a été fournie.

Un bon lecteur qui maîtrise parfaitement le code alphabétique, qui est capable d'anticiper en fonction du sens défini par le contexte peut lire un texte même si les mots de celui-ci ont été remaniés (lettres déplacées voire partiellement supprimées). Cette lecture est rendue d'autant plus aisée que les indices sémantiques sont forts et que la morphologie des mots reste proche de la réalité. Toutefois, en dernier recours c'est toujours le code qui garantit l'exactitude de la lecture.

On est bien loin de l'interprétation erronée de l'auteur (pour rappel): " c'est parce que le cerveau humain ne lit pas chaque lettre elle-même, mais le mot comme un tout "

Le type de '' raisonnement'' employé par l'auteur qui débouche sur une conclusion apparemment logique en ne prenant en compte que la forme des choses sans s'attacher à élaborer le questionnement nécessaire à toute déduction rationnelle porte un nom ; lorsqu'il est fait de mauvaise foi, c'est un sophisme; lorsqu'il est fait par simple ignorance, c'est un paralogisme.

Ces fausses déductions permettent à leurs auteurs, manipulateurs ou ignorants d'accréditer des propositions qui ne peuvent être prouvées par la logique ou la raison ( dogmes, pensées sectaires, idéologies...), elles prennent leurs sources dans les superstitions, les préjugés, les croyances et l'ignorance. Les paralogismes résultent également de l'illusion que nous donnent nos sens dans l'interprétation de la réalité.

" Je vois le soleil monter et descendre dans le ciel, c'est que bien évidemment il tourne autour de la terre. "( paralogisme d'illusion)

Alors, sophisme ou paralogisme ?

Dans le cas présent, il semble évident que le but de ce texte est de valider les théories défendues par les pédagogues ''globalistes'' qui considèrent que la simple reconnaissance morphologique des mots et le sens tiré du contexte peuvent amener à une lecture efficace en niant par ce fait la nature même de notre système de''lecture-écriture'', c'est à dire le système grapho-phonétique.

Ces pédagogues ont d'ailleurs plongé plusieurs générations d'élèves dans d'énormes difficultés d'apprentissage.

Alors, vous avez choisi ?

Pour illustrer la ''logique '' sophistique ou paralogique, amusons nous un peu. Pour ce faire, je me contenterai d'appliquer à la lettre le type de raisonnement employé par l'auteur.

Dans le texte qui nous est proposé, il est tout à fait envisageable de ne garder que la première ou les deux premières lettres de certains mots sans pour cela nuire à la compréhension générale.

Exemple : mots -d'importance -reste -etc... et de conclure à la manière de l'auteur:

L'absence quasi totale des lettres d'un mot n'empêche pas la lecture de ce mot, en effet le cerveau ne retient que la première lettre des mots.

Allons plus loin :

Certains mots auraient pu être totalement supprimés, le mot n'est plus en désordre, plus partiel, il n'est même plus existant !

Avec la même logique que précédemment j' énonce :

L'absence de certains mots n'empêche pas la lecture de ces mots, en effet le cerveau sait reconnaître quasi instantanément les mots inexistants.

Soyons de plus en plus fous, et en élargissant cette ''pensée'' on obtient l'évidence suivante:

L'absence de tous les mots d'un texte n'empêche pas la lecture d'un texte inexistant, en effet, le cerveau humain est naturellement plus doué pour la crédulité que pour la raison.

A quand l'époque bénie où l'apprentissage de la lecture se fera à partir de manuels vierges de tout écrit. Ce sera probablement ce que l'on pourra appeler au sens propre : L'imagination au pouvoir.

Je suis persuadé que malgré cette modeste tentative de démonstration certains lecteurs ne seront pas convaincus et trouveront dans la dialectique des arguments pour valider leur dogme, en effet, tout comme la vie dans la nature, les croyances trouvent souvent en dehors de toute vraisemblance un passage pour se frayer un chemin.

Ce qui peut paraître surprenant, c'est que des enseignants qui ont entre autre pour mission de développer l'esprit critique des enfants qui leur sont confiés se laissent séduire ou piéger par des affirmations grossières découlant d'exercices de style qui auraient plus leur place dans les pages de jeux d'un programme télé que dans une université.

Surprenant ? Peut-être pas tant que ça !

D'après une étude réalisée par Henri Broch responsable de la chaire de zététique de l'université de Nice-Antipolis, la catégorie socioprofessionnelle la plus ouverte à la parapsychologie et aux pseudo-sciences est représentée (et de loin) par....la profession d'instituteur !!

Mais quel rapport cette étude a-t-elle donc avec le sujet de ce petit essai ?

La réponse que je propose ci-dessous et que je vous laisse méditer sera en fait ma conclusion, elle peut s'exprimer à travers cette question simple...

" ESPRIT (CRITIQUE) ES-TU LA ? "

Tihrery Vneot

03/2005