Fillon dégraisse le mammouth à la tronçonneuse

Charlie Hebdo, 15 septembre 2004

Par Agathe André


La rentrée du second degré a été quelque peu obscurcie, par les maîtres chanteurs à voile et à machettes, mais l’ami Fillon est heureux: " une rentrée sans souci, et cette année l'Éducation nationale n'a pas eu recours à la précarité ". Non, il a juste changé de stratégie. Et s'est naturellement inspiré de celle du privé.

Pour parer aux carences en personnel enseignant - 4 500 postes ont été supprimés cette année - il faut " optimiser " et " flexibiliser " les titulaires sur zone de remplacement, les TZR. Ensuite, on ne remplace plus les profs " pour moins de trois semaines ", on ferme des options dans l’enseignement général et des sections dans l'enseignement technologique et professionnel, on surcharge les effectifs des classes. Surtout, on pratique le recours aux vacataires plutôt qu’aux contractuels. Car, pour Fillon, le vacataire n’appartient pas à la race des " précaires ".

A Bordeaux, par exemple, choisie pour être pilote de l’application d'une loi de finances qui accompagnera la loi de décentralisation, les contractuels ont reçu un courrier du rectorat fort aimable leur expliquant qu’ils feraient mieux d'aller s'inscrire dans les plus brefs délais aux Assedic puisque " aucune affectation en tant qu'enseignant contractuel n'a pu être proposée ". Mais qu'ils se rassurent, ils seront " prioritaires pour être recrutés en tant que vacataires ".

Autrement dit, on transforme les contractuels, trop coûteux pour les rectorats, en chômeurs, et on les pousse à accepter de simples vacations - qui n’ouvrent à aucun droit - au lieu des contrats dont ils bénéficiaient jusque-là.

Concrètement, cette année, au lieu d'utiliser un contractuel pour couvrir les postes non pourvus de 18 heures hebdomadaires, on partage ces postes entre trois vacataires à 6 heures par semaine.

Bref, l’Éducation nationale a branché la machine à chômage dans l’usine à savoirs : entre 70 et 80 % de contractuels n’ont pas de poste cette année. Beaucoup plus que les 5000 prévus par le ministère. L’année prochaine, ce sont de 6500 à 7500 postes qui vont être supprimés. Le slogan 2004 de l’académie de Créteil : " Venez goûter à l'enseignement, devenez vacataire " va donc se généraliser. Et il ne restera plus qu’à délocaliser nos marmots dans les boîtes privées de soutien scolaire type Acadomia ou Wall Street English...

Les trois pattes boiteuses du pachyderme

1 - Les TZR: titulaires sur zone de remplacement, détenteurs du Capes, ils pourvoient aux remplacements. Assurés d'une paie au même titre que les titulaires. Maître mot flexibilité au gré des remplacements. Certains, comme à Dijon, sont payé à rien faire.

2 - Les contractuels : recrutés par les rectorats pour des périodes variables, mais jamais plus d'un an, ce sont les intermittents de l’éducation nationale. L’état a bien du mal a payer leur chômage. Le délai de gestion des dossiers peut aller au mieux à 3 mois, au pire jusqu'à 6/7 mois selon les académies. En 2003, ils étaient 27400.

3 - Les vacataires : profs jetables qui cumulent toutes les tares sociales imaginées dans le privé, recrutés dans les universités, taillables et corvéables à merci. Ils sont payés 34,3 euros par heure de cours effective et ne peuvent pas faire plus de 200 heures. Ils n’ont aucun droit, ne touchent pas le chômage. Ils étaient près de 10200 en 2003.