Dictionnaire de pédagogie : méthode Schüler


Dictionnaire de pédagogie et d’instruction primaire de Ferdinand Buisson, 1887.

Article Le livre du maître de la méthode Schüler (Ch. Defodon)


" Nous ne voulons présenter ici (dans la IIè partie du Dictionnaire, nda) qu'une sorte de mise en oeuvre de la méthode qui nous paraît à la fois la plus rationnelle et, au point de vue pratique, la plus rapide et la plus sûre, c'est-à-dire celle qui mène de front l'enseignement de la lecture et de l'écriture, l'art de représenter graphiquement les sons et les articulations et celui de retrouver par la mémoire la valeur de ces représentations et de les traduire par la parole.( V. dans la première partie, l'article Ecriture). Nous n'aurons pour cela qu'à nous approprier, en les abrégeant, les excellents principes développés dans le livre du maître de la méthode Schüler.

D'après ces principes, le jeune élève, dans l'école, n'est pas mis tout de suite à la lecture. L'enfant que l'on amène à l'instituteur sait déjà parler, soit patois, soit français. À celui qui ne sait parler que patois, il faut d'abord apprendre à parler français : l'école ne peut connaître d'autre langue. Mais, à bien peu d'exceptions près, lors même que l'enfant sait parler français, il parle mal, et surtout, dit fort justement la méthode Schüler, d'une manière inconsciente, d'instinct ou plutôt d'habitude. " Le maître commencera donc par exercer l'élève à la parole, en rattachant ces exercices à des choses qui l'intéressent. Il l'habituera à s'exprimer clairement et sans faute de prononciation. Ces exercices apprennent aux élèves à analyser les mots et à distinguer les sons ; les enfants retiennent facilement chaque son en les rattachant par le souvenir à l'idée d'un objet qui leur est familier. " Pour cela les leçons de choses seront fort utiles ; elles interviendront d'ailleurs dans la leçon proprement dite de lecture et d'écriture simultanées.

La lecture et l'écriture se tiennent et se complètent, " comme les deux faces d'une médaille ". Toutefois, si, théoriquement, l'on suppose que l'une a précédé l'autre, c'est l'écriture qui a dû venir la première. " On ne peut évidemment pas lire ce qui n'a pas été écrit. Ce que les hommes ont dû inventer, c'est donc l'écriture, le signe visible de la parole : la lecture s'ensuivait nécessairement. "

Mais l'écriture est un dessin ; à tout le moins, elle procède du dessin et elle s'y rattache. L'enfant, à qui on veut apprendre à écrire, sera donc préparé à cet enseignement par quelques exercices préliminaires de dessin. Et de la façon la plus simple.

(Suit la description de quelques exercices de tracé au tableau et sur ardoise : il s'agit essentiellement de relier des points par des droites, de distinguer droite et gauche, haut et bas, de schématiser par ce moyen quelques objets usuels,)

On pourrait de même, bien que la méthode ne l'indique pas, essayer quelques exercices avec des ronds et des courbes ; enfin on commencera les exercices d'écriture proprement dite par des tracés très simples, bâtons et jambages.

Nous voici en face du problème : écrire les lettres pour les lire ensuite.

Il est évident que, si nous avions à choisir, nous aurions recours à un système contenant autant d'éléments graphiques qu'il y a dans notre langue d'éléments phonétiques ; que, de plus nous ferions correspondre l'élément graphique le plus simple à l'élément phonétique le plus simple aussi. Mais notre alphabet, comme tous les autres alphabets, est un système d'ordre historique, et non d'ordre rationnel ; il faut le prendre tel qu'il est, avec ses anomalies et ses lacunes, et procéder empiriquement. C'est ainsi que la méthode Schüler, au lieu de commencer, par exemple, par le son a, qui est le son le plus naturel et le plus général, commence par le son i, qui se trouve être dans notre langue celui dont le signe graphique est le plus facile à reproduire. Viennent ensuite, dans un orde de difficulté croissante au même point de vue, le son u, l'articulation n, l'articulation m etc., etc.

Mais ce n'est pas là un grand inconvénient. Quelle que soit la méthode de lecture que vous employiez, vous ne sauriez échapper à l'anomalie ; tôt ou tard, il vous faudra bien mettre l'enfant en présence, soit des signes graphiques redondants, comme le k et le c dur, l'i et l'y, soit des signes polygrammes représentants des sons ou des articulations simples comme ou, eu, ch, etc. L'important, c'est d'amener l'enfant le plus vite possible à une connaissance pratique indispensable, par une voie qui lui plaise et ne le rebute point, et en laissant dans son esprit, à côté de l'acquisition mécanique et matérielle, des notions utiles et durables.

Pour en arriver-là - et l'expérience a prouvé qu'elle y arrive, - voici comment procède la méthode Schüler.

Chaque exercice de langage est signalé, dans le livre de lecture ou dans le tableau mural destiné à l'enseignement collectif, par une image, cette image représentant un son ou une articulation, et l'exercice se compose de trois parties : explication de l'objet présenté, analyse des syllabes et des sons, tracé du signe représentatif du son ou de l'articulation.

Exemple : La méthode, avons-nous dit, commence par l'i. La première image est celle d'une île, au-dessous de laquelle est tracé le signe graphique i.

PREMIÈRE PARTIE DE L'EXERCICE :

" ­D. Que représente cette image ? (L'instituteur montre l'image)
- R. Cette image représente une île.
( Si les élèves ne savent pas ce qu'est une île, le maître doit leur dire avant tout qu'on appelle île un espace de terre entouré d'eau de tous côtés ; qu'il y a des îles dans les rivières et dans les mers, que les îles sont grandes ou petites, habitées ou désertes, cultivées ou incultes etc.)
- D. De quoi l'île est-elle entourée ?
- R. L'île est entourée d'eau.
- D. Comment est l'eau qui entoure l'île ?
- R. L'eau qui entoure l'île est claire, ( profonde, courante, stagnante).
- D. Quelle forme a l'île ?
- R. L'île est ronde (longue, carrée etc.)
- D. Qu'est-ce qu'il y a sur l'île ?
- R. Il y a sur l'île des plantes, des arbres..."
Il va sans dire que ces questions et ces réponses ne sont que des indications, le maître sera souvent obligé de dire aux enfants certaines choses que le livre met dans leurs réponses. Le but est d'amener les enfants à trouver des idées et à les exprimer, à répéter ensuite et à résumer ce qu'aura produit l'ensemble des réponses faites aux questions du maître. Leur langage et souvent leur prononciation se perfectionnera ainsi.

DEUXIÈME PARTIE DE L'EXERCICE :

Les syllabes.
"- D. Qu'est-ce que l'île ?
- R. L'île est la terre entourée d'eau.
- D. Combien de fois ouvrez-vous la bouche pour dire î-le ?
- R. Pour dire î-le, j'ouvre la bouche deux fois.
( Le maître explique qu'un mot a autant de syllabes qu'il faut ouvrir de fois la bouche pour le prononcer.)
-D. Combien de syllabes a le mot î-le ?
- R. Le mot î-le a deux syllabes.
- D. Dites-moi la première syllabe.
- R. La première syllabe est i.
- D. Dites-moi la deuxième syllabe.
- R. La deuxième syllabe est le.
- D. Combien de syllabes a le mot tê-te ?
- R. Deux. ( L'enfant devra donner une réponse complète.)
- D. Dites-moi la première.
- R. Tê.
- D. Dites-moi la seconde.
- R. Te.
- D. Combien de syllabes distinguez-vous dans les mots : ai-le, plu-me, bec, oeil, noir, blanc ?Š "

Les sons :
"-D. Quand vous prononcez le mot île, comment faites-vous d'abord ? ( Le maître répète le mot en insistant sur sur l'i : i i i ile..)
- R. Je fais d'abord i. (Le maître explique que cela s'appelle émettre un son.)
- D. Quel son entendez-vous en premier quand vous dites île ? (appuyez au besoin sur l'i.)
- R. J'entends le son i.
- D. Cherchez d'autres mots où vous commencez par dire i ( par émettre le son i).
- R. Hibou, if, il, Isidore, Isabelle et d'autres( Le maître aide au besoin par des questions.)
- D. Quel son entendez-vous au commencement du mot u u usine ?
- R. J'entends, au commencement du mot usine le son u..."

TROISIÈME PARTIE DE L'EXERCICE :

"- D. Combien de syllabes a le mot î-le ?
- R. Le mot î-le a deux syllabes.
- D. Quel est le son de la première syllabe ?
- R. Le premier son du mot î-le est i.
- D. Nous allons maintenant apprendre à écrire le son i, que nous venons d'émettre.
(Le maître écrit la lettre au tableau noir, très lentement, et en faisant remarquer tous les détails de la forme. Puis il insiste, à l'aide de questions présentées diversement, laissant la lettre figurer au tableau.)
- D. Que signifie cette lettre ?
- R. Cette lettre signifie qu'il faut dire i, ou cette lettre représente le son i.
- D. Que faut-il faire d'abord pour écrire un i ?
- R. Il faut tracer une ligne fine ( un trait fin ) obliquement, de bas en haut.
- D. Que fait-on ensuite ?
- R. On trace, de haut en bas, une ligne (un trait) plus grosse, un peu penchée et arrondie, contournée par le bas.
- D. Comment finit la lettre ?
- R : Par une ligne (un trait) fine, arrondie, allant obliquement, de bas en haut.
- D. Que met-on sur la lettre ?
- R. On met un point.
Le maître efface ensuite la lettre et dit :
"Si je veux écrire l'i, comment faut-il que je m'y prenne ? Que dois-je faire en premier lieu ?
- R. Tracer une ligne fine de bas en haut.
- D. Que faut-il faire ensuite ?
- R. Une ligne plus grosse..."
(Le maître appréciera quand le moment sera venu d'apprendre aux élèves que les traits fins s'appellent des déliés, et les traits plus gros des pleins.)
La lettre étant de nouveau écrite au tableau, le maître prend un indicateur, une petite baguette, et repasse sur les traits de l'i en faisant compter un pour le délié initial, deux pour le plein, et un pour le délié final. Enfin deux pour le point. Les enfants répètent en choeur. Le maître fait mettre l'index sur le bord de la table et dit : "Vous allez écrire l'i en l'air ; quand je vous dirai un, vous marquerez le trait qui va de bas en haut ; et, quand je dirai deux, vous marquerez le trait qui va de haut en bas. Je compterai encore un pour le second délié, et deux pour le point."
Après un court exercice, il fait prendre les ardoises, fait d'abord tracer, entre les lignes espacées, un, puis toute une série d'i. "
Et ainsi pour toutes les lettres. Quand il s'agit d'une articulation, par exemple la consonne n, qui vient la première, la méthode insiste pour que le maître, non seulement ne prononce pas enne, mais même évite de prononcer l'e muet en prononçant la consonne. Il ne dira pas ne, mais il émettra l'articulation pure de l'n ; à cet effet, il faut l'émettre sans desserrer les dents. " La même règle s'applique à toutes les consonnes ; et plus le maître tiendra à la pureté de l'articulation et la dégagera de toute voyelle, plus les progrès de l'enfant seront rapides. Cette prononciation n'offre aucune difficulté à l'enfant. Elle pourrait au premier moment en présenter au maître, à cause des habitudes prises ; mais cela disparaîtra après un instant d'exercice.
On a dit d'abord enne+a = na ; puis ne+a = na. On comprendra vite qu'il est plus simple et plus exact encore de dire n'...+a = na. "
La méthode arrive vite aux mots prononcés et écrits. Ainsi la première page du livre de l'élève donne déjà : ni, nu, uni, mi, muni. Ces mots sont ceux que permettent le peu d'éléments qu'on a encore étudiés. Si le mot par lui-même n'est pas intéressant pour l'enfant, on le fait entrer dans une phrase : "Le petit Paul est parti cet après-midi pour la promenade, muni de son goûter, qu'il portait dans son panier." Muni de son goûter, cela veut dire qu'il portait son goûter avec lui. De quoi faut-il être muni pour venir à l'école ?
- De son livre, de son cahier...
- Bien, vous avez compris ! Ainsi donc, le petit Paul, partant pour la campagne, s'est muni de son goûter. Sauriez-vous écrire ce mot muni ?"

Après l'étude des caractères d'écriture courante, vient l'étude des caractères typographiques, qui permettra de lire dans les livres. Elle se fait par le rapprochement des caractères d'écriture courante et des caractères typographiques correspondants ; préparée par les exercices dont nous avons donné le spécimen ; elle ne présente pas de difficulté.

Nous avons choisi la méthode Schüler comme type de la méthode pour l'enseignement simultané de la lecture et de l'écriture, parce que c'est celle que nous connaissions le mieux, et aussi parce qu'elle a été expérimentée avec succès dans différents établissements, notamment à l'école primaire des instituteurs de la Seine. "


[Article scanné par Guy Morel]