Dictionnaire de pédagogie : "Écriture-lecture"


Dictionnaire de pédagogie et d’instruction primaire de Ferdinand Buisson, Tome I, 1ère partie, 1887.

Article Écriture-lecture (J.Guillaume)


C’est par cette expression abrégée qu’on désigne souvent la méthode de l’enseignement simultané de l’écriture et de la lecture. Cette méthode, qui, après avoir été pratiquée en France dès le siècle dernier par quelques novateurs, n’a reçu ses derniers perfectionnements que dans la seconde moitié de celui-ci, gagne rapidement du terrain dans tous les pays où l’instruction populaire est en honneur. Il importe donc d’exposer les principes sur lesquels elle est fondée.

C’est par un court résumé historique qu’il sera le plus facile de montrer les diverses séries de progrès qui, en se combinant, ont fini par produire une méthode à la fois rationnelle et expéditive.

Dans les écoles d’autrefois, la lecture et l’écriture formaient deux ordres d’enseignement parfaitement distincts. Un grand nombre d’élèves se contentaient d’apprendre à lire plus ou moins couramment, sans aborder les mystères de l’écriture ; ceux-là seuls dont les parents avaient le moyen de payer une rétribution plus élevée étaient initiés à l’art de former les lettres sur le papier : ils formaient dans la classe une catégorie à part, celle des écrivains. Il est clair que cette séparation des matières du programme scolaire ne reposait sur aucun principe pédagogique, et n’avait d’autre raison d’être que les convenances du maître d’école qui cherchait à tirer le plus de profit personnel possible du savoir qu’on le chargeait de transmettre à ses élèves.

Cependant, dès le XVIIè siècle…

A partir de là, l’article passe en revue un certain nombre d’initiateurs de l’enseignement simultané de l’écriture et de la lecture. C’est Ratichius en Allemagne, puis un siècle plus tard Pierre Delaunay en France. " une chose essentielle, écrivait celui-ci, que je conseille aux parents qui voudront enseigner leurs enfants suivant cette méthode est de leur mettre la plume à la main dès qu’ils commencent la lecture est de les faire écrire, quelque jeunes qu’ils puissent être ; cet exercice les avancera extraordinairement. " Ensuite vient fin XVIIIe Dupont de Nemours : " il faut commencer l’instruction littéraire des enfants par leur apprendre à écrire… on ne doit s’embarrasser aucunement de la lecture, dont on n’aura pas besoin de faire une étude à part, si l’écriture est bien enseignée. " Dupont de Nemours rend ultérieurement hommage à Joachim-Henri Campe qui a fait imprimer, en 1778, à Altona (Prusse) " un excellent mémoire où il développait… les avantages du procédé dont je me croyais le seul inventeur. "

Un autre disciple de Basedow, le Prussien Gedike était allé plus loin, qui avait formulé dès 1779 le principe de la méthode analytique-synthétique, qui, employée dans toutes les sciences, devait s ‘appliquer aussi à l’enseignement de la lecture et de l’écriture.

Condamnation ensuite de Pestalozzi qui " malgré ses bonnes intentions ne sut rien faire pour améliorer les méthodes : celle qu’il adopta pour l’enseignement de la lecture ne saurait être regardée que comme une des nombreuses aberrations pratiques de cet initiateur… "

Sont cités encore les fondateurs de l’enseignement mutuel Bell et Lancaster qui combinaient les exercices d’écriture et de lecture, en faisant tracer aux élèves dans le sable des lettres avec le doigt.

Le Bavarois J.-B. Graser introduisit au primaire la Schreiblese-Methode (1820) : apprentissage du tracé de lettres isolées puis assemblage en syllabes et en mots. Son disciple Scholz combine la méthode avec la Lautiermethode (méthode phonétique) de Stéphani (1803), l’élève, au lieu d’épeler en lisant le nom des lettres émet les sons qu’elles représentent. Lüben, en s’inspirant de Comenius ajouta à l’étude des sons, des lettres et des mots l’enseignement intuitif des choses de façon à faire voir à l’enfant, d’abord un objet réel qui lui est nommé, puis la manière d’en lire et d’en écrire le nom. La méthode d’écriture-lecture, avec les développements qu’elle comporte et dont nous parlerons plus loin, était désormais fondée. "

Suivent des précisions sur les limites de l’épellation phonétique (l’orthographe française n’est pas phonétique et comporte des assemblages arbitraires de voyelles et de consonnes), sur la combinaison avec la leçon de choses qui " n’est qu’un accessoire intéressant " mais pas l’essence de la méthode, sur le fait d’enseigner ou non avec l’alphabet manuscrit l’alphabet imprimé.

La méthode d’écriture-lecture, dont nous venons d’exposer la formation historique, était une méthode synthétique : c’est-à-dire que l’instituteur fait connaître à l’enfant les éléments du langage parlé et écrit, des sons et des signes, qu’il doit assembler pour en former des mots.

Un perfectionnement pouvait encore être introduit dans la méthode. Gedike l’avait signalé : il s’agissait de la rendre à la fois analytique et synthétique. On devait y parvenir en présentant à l’enfant, non plus des éléments, les lettres, mais un tout, un mot, sur lequel on l’invite à faire lui-même le travail d’analyse, en décomposant ce mot en lettres ; une fois les éléments du mot obtenu, l’enfant fait le travail inverse, la synthèse : il reconstitue, avec les lettres que l’analyse lui a fournies, soit le mot qui a servi de point de départ à l’exercice, soit d’autres mots ou des syllabes.

C’est à peu près là ce que Jacotot faisait faire à ses élèves, lorsqu’il leur présentait la première phrase du Télémaque comme matière de leurs exercices d’épellation et de grammaire. Seulement, Jacotot faisait travailler ses élèves sur une phrase quelconque. Or, pour enseigner les premiers éléments de l’écriture et de la lecture, il est évident que le choix des mots qui doivent servir aux exercices n’est pas indifférent : il faut que ces mots soient simples, courts, qu’ils offrent un sens connu des enfants, que les lettres qui les composent s’y présentent avec leur valeur alphabétique habituelle ; il faut, pour employer une expression créée par l’Allemand Lüben, de qui nous parlions tout à l’heure, que ce soient des mots normaux. L’idée, une fois jetée dans le public, fit rapidement son chemin : Lüben, et avec lui bien d’autres, parmi lesquels il convient de citer Graffunder, à Erfurt, et Vogel, à Leipzig, travaillèrent à introduire ce perfectionnement dans la pratique ; et on eut alors, à côté de la méthode simplement synthétique, une méthode plus complexe qui s’appela analytique-synthétique, ou encore méthode des mots normaux ( Normalwörter). En Belgique, en Suisse, aux Etats-Unis, et jusqu’à un certain point en France, la méthode d’écriture-lecture analytique-synthétique s’est imposée à l’attention : elle est pratiquée, grâce à l’initiative d’un ami de l’éducation, M. Maurice Block, à l’école-annexe de l’école normale de la Seine, et elle a été vulgarisée, sous le nom de méthode Schuler dans un excellent petit ouvrage dont nos lecteurs trouveront le résumé à l’article Lecture de notre IIè partie. Tout fait prévoir qu’elle appartient à l’avenir. – V. sur cette question l’article Lecture, Ière partie. ( J.Guillaume)

[Article scanné par Guy Morel]