Brevet 2009 : la locution quelque chose


      On connaissait le diplôme, on connaissait le brevet ; mais le pédagogiste, toujours innovant, a quant à lui inventé le diplôme du brevet pour mieux montrer aux élèves les charmes de la redondance, de la paraphrase et des lapalissades... On en trouve de nouveaux exemples dans l’édition 2009 du DNB.
      Dans le texte de Le Clézio, le clochard Ali éprouve une colère soudaine quand il découvre un carton inconnu à l'endroit qui lui est habituellement réservé sous un pont. "Tout à coup il se souvint qu'il avait été soldat, autrefois, dans sa jeunesse, et qu'il était monté à l'assaut au milieu du bruit des balles", écrit l'auteur. Question du pédagogiste : Qu'apprend-on de nouveau sur Ali ? Réponse attendue d'après le corrigé : Ali a été soldat. L'élève doit donc être capable de déduire, lorsqu'on lui dit qu'un personnage a été soldat, que ce personnage a été soldat.
      Même chose (après la découverte par notre clochard d'une petite fille dans le carton), alors que l'air froid "s'engouffrait sous le pont", "que le bébé était tout nu", "que sa peau était rougie par le froid"... et que le pédagogiste demanda au candidat d'expliquer pourquoi, lignes 44 à 46, le bébé était en danger. On notera au passage la précision du repérage : c'est fléché depuis l'entrée du collège, on ne peut pas se tromper.
      Il est clair qu'avec pareilles questions la littérarité du support ne joue aucun rôle dans l'examen : rien sur le style. Certes, il faut expliquer "cette poupée vivante" qui désigne le bébé, mais on n'exigera pas l'identification de la figure. Les deux corrigés s'en sortent alors comme suit : La petite fille est assimilée à une poupée en raison de sa délicatesse, de sa beauté. Mais alors qu'une poupée est inanimée, la petite fille est vivante... (des fois que l'élève ne s'en serait pas rendu compte depuis le temps qu'elle braille dans son carton). Bref, non seulement la paraphrase s'invite dans les corrigés, mais on voit qu'en guise d'analyse stylistique il importe de tester avec le DNB si l'on fait bien à quatorze ans la différence entre une Barbie et un véritable nouveau-né. A ce compte-là, prendre pour support cette page d'un prix Nobel au lieu d'un bon vieux Oui-oui à la plage ne relève-t-il pas de la poudre aux yeux ?
      Bon. Mais comme SLL a tout de même réussi à se faire un peu entendre ces derniers temps, figurez-vous qu'il y avait aussi des questions... de langue ! Oui, vous avez bien lu. Il fallait donc nommer deux rapports logiques, convertir un groupe infinitif en subordonnée conjonctive, indiquer la classe grammaticale de plusieurs éléments du texte et même la fonction d'un groupe de mots... des questions fascistes, quoi !
      Heureusement, la commission d'harmonisation (académie de Rouen) veillait au grain, et elle passa par là... Ainsi, alors que la feuille rose du corrigé initial indiquait pour le groupe "avec d'infinies précautions" la fonction Complément circonstanciel de manière du verbe sortir, le corrigé du corrigé se contenta, lui, de Compl. circonst. de manière (si bien que des compléments circonstanciels de manière du nom "carton" ou autres "bébé" fleurirent en nombre et se virent grassement récompensés). L'on accorda même la moitié des points pour Complément circonstanciel tout court. Qu'il indique le but, la manière ou quoi que ce soit, un complément, il est vrai, n'est jamais qu'un complément, et peu importe d'ailleurs de quel autre mot... Sur le même fil, la notion de cause permet d'engranger la moitié des points si l'élève a compris qu'il s'agissait d'un rapport de cause mais n'a pas réussi à le nommer. Ah ! tous ces mots abstraits, quel ennui !... Allez, une dernière : il fallait donner la classe grammaticale de "quelque chose", et le corrigé rose donnait évidemment Pronom indéfini car les six catégories de pronoms sont au programme de 3ème ; eh bien la commission stipula bravement qu'on accepterait tout aussi bien Pronom tout court, et aussi locution, qu'elle venait de sortir de son chapeau toujours plus merveilleux.
      A l'évidence, les concepteurs de l'examen, certainement gênés par l'insistance sur la langue dans les nouveaux programmes en marche, ont recherché non un équilibre entre des questions plus ou moins difficiles, mais une possibilité de donner la moyenne au plus grand nombre malgré les huit questions de langue (les plus ratées par les élèves, évidemment, après ces vingt années de traversée du désert). On notera qu'à cette fin une seule question (la dernière) appelait à valoriser la rédaction de la réponse, la capacité à interpréter le texte et surtout la cohérence de l'interprétation. Une seule question sur douze, donc, si l'on met à part les questions de grammaire pure. C'est dire en quelle estime on tient véritablement la syntaxe, et combien d’incorrections de toutes sortes étoileront une fois de plus ce diplôme flambant neuf…

Luc Richer

07/2009