Audience au ministère du 3 février 2005


Compte rendu de l’audience accordée au ministère de l'Education Nationale par Madame Marie-Joëlle Manteau, conseillère technique au cabinet du ministre, aux associations de lettres et de langues anciennes des académies de Bordeaux et Poitiers, ainsi qu’à leurs représentants nationaux, jeudi 3 février 2005.

Madame Marie-Joëlle Manteau a reçu Mesdames et Messieurs :

Marc Milhau et Henri Aristizabal pour les Associations régionales des Enseignants de langues anciennes (ARELA/CNARELA) respectivement des académies de Poitiers (APCELA), et Bordeaux (ARELABOR), Jeanne Cambuzat et Colette Marchoux-Bernard pour Rallye Latin, François Trouillet pour l'APLAES (Association des professeurs de langues anciennes de l’enseignement supérieur) Poitou-Charentes, Mireille Ko pour le bureau de la CNARELA (Coordination nationale des associations régionales d’enseignants de langues anciennes), Frédérique Biville pour le bureau national de l'APLAES, Régis Durand (académie de Poitiers) et Agnès Joste (membre du bureau) pour le collectif Sauver les Lettres.

Cette audience avait pour objet les fermetures de sections de langues anciennes prévues à la rentrée 2005 dans les académies de Poitiers et de Bordeaux. Elle  faisait suite aux deux audiences accordées courant janvier à une délégation académique de ces mêmes associations par les rectorats des deux académies concernées, et se situait dans la ligne de l'audience que Madame Manteau, Monsieur Mamou et des conseillères de la DESCO avaient accordée sur le même thème, le 4 juin 2004, aux associations nationales réunies par l'Appel pour le latin et le grec de février 2004.

Premier temps de l’audience.

Une présentation a été faite à Madame Manteau des nombreuses démarches effectuées dans les deux académies depuis les annonces en décembre des fermetures de sections (soutien des associations de parents d'élèves des établissements, des élus locaux, réunions publiques, conférences de presse). Les résultats des deux audiences accordées par les rectorats (les 12 et 24 janvier) lui ont été exposés : à Bordeaux, sur 34 sections de langues anciennes en lycée et 6 en collège, 2 de lycée ne sont plus menacées ; à Poitiers, sur 11 sections menacées en lycée, 4 ne le sont plus mais 7 le demeurent, alors que le nombre de leurs élèves étudiant une langue ancienne est équivalent ou supérieur à celui des sections sauvées. La situation reste donc grave dans les deux académies.

Un dossier lui est laissé pour chacune des deux académies, contenant notamment une copie des 1241 signatures obtenues dans l'académie de Poitiers par une pétition appuyant l'initiative des associations. Madame Manteau rappelle le soutien du ministère aux langues anciennes : le coefficient de l'épreuve facultative de langues anciennes au baccalauréat est passé de 2 à 3, la future loi d'orientation fixe une augmentation de 10% des élèves étudiant les langues anciennes au lycée, une circulaire du 16 décembre du directeur de la DESCO aux recteurs prévoit de favoriser l'enseignement des langues anciennes ; les recteurs et les IA-IPR ont été sollicités en ce sens ; par ailleurs, la circulaire de rentrée prévoit, certes de façon discrète, que les élèves de troisième pourront étudier à la fois le latin et le grec. Les enseignants de langues anciennes doivent de leur côté susciter l’envie d’étudier leurs matières.

Les représentants des associations prennent certes bonne note des intentions de F. Fillon de favoriser particulièrement l'enseignement du latin et du grec. Mais ils font remarquer que ce sont là des principes qui seront très difficiles à mettre en application si les sections ferment les unes après les autres (d'après les chiffres diffusés par la DESCO, le nombre d'élèves étudiant une langues ancienne a beaucoup baissé ces deux dernières années, où ont été massivement décidées des fermetures de sections : entre les rentrées 2002 et 2004, le nombre des élèves latinistes en lycée a baissé de 5000). Les associations précisent que pour respecter l’objectif ministériel d’augmentation, il faudrait accueillir prochainement au lycée 6.000 latinistes de plus… Les conditions n’en sont pas réunies.

Les représentants font donc remarquer qu’en l’état les projets du ministère de rendre plus  " attractives " les langues anciennes  ne sont que des mots. Ainsi, lors de l'audience au rectorat de Poitiers, il a été répondu aux représentants présents des associations :

Deuxième temps de l'audience.

Madame Manteau informe la délégation que la directrice adjointe du cabinet du ministre, Madame Marie-Jeanne Philippe, s’est manifestée auprès du recteur de Poitiers, que les choses ont évolué depuis l'an dernier, en vertu de la volonté affichée du ministre de donner plus d'importance et de poids aux langues anciennes. Madame Manteau assure les représentants des associations que les instances académiques sont tout à fait compétentes pour préparer les cartes de formation, mais que les recteurs doivent tenir compte des contraintes budgétaires. Aussi sont assurées sur le terrain des concertations, pour maintenir les viviers des élèves ayant choisi une langue ancienne ; le ministère de son côté tient à rendre tous les efforts, notamment ceux des associations, convergents.

Les représentants des associations font cependant remarquer que les intentions positives de M. Fillon à l’égard des langues anciennes sont dans le même temps contredites par deux mesures de terrain tout à fait récentes : l’option " découverte professionnelle " instaurée en classe de troisième à la rentrée 2005 va concurrencer le latin et plus particulièrement le grec, qui se commence lui aussi en troisième ; et à l’entrée en seconde, les élèves ne pourront désormais plus choisir qu'un seul enseignement de détermination, au lieu de deux aujourd'hui ; cela supprime toute possibilité pour les élèves de choisir le latin ou le grec comme enseignement de détermination : leur seul enseignement de " détermination " ne pourra être que la seconde langue vivante, obligatoire au baccalauréat.

Madame Manteau indique alors aux représentants des associations que M. Fillon a précisé récemment lors du Conseil National de la Vie lycéenne que la deuxième langue vivante deviendrait un enseignement de tronc commun, mais ne peut en préciser l’horaire hebdomadaire aux associations qui le lui demandent. En outre, les Conseils Pédagogiques dans chaque établissement permettront des échanges difficiles aujourd'hui.

Les représentants des associations font remarquer que la politique d'éducation ne semble plus se préparer dans un cadre national, et évoquent la spécialisation programmée des établissements qui sera entérinée par les "partenaires" de l'école au sein des Conseils pédagogiques. Ainsi l'égalité de traitement sur le terrain, celui notamment d'un enseignement généraliste de qualité, ne sera plus qu'un mot : par exemple, d'après le rectorat de Poitiers, il n'y aura plus qu'un établissement par grande ville (Angoulême, Poitiers, La Rochelle) à dispenser un enseignement de langues anciennes. Dans ces conditions, les associations demandent comment pourra naître " l’envie " de faire du latin ou du grec chez des élèves que ni leur établissement ni leur milieu socio-culturel ne leur feront connaître. Elles demandent également comment définir un " vivier " lorsque le rectorat ferme au lycée de Loudun par exemple une section de seconde alimentée en amont par 51 élèves de troisième.

Madame Manteau leur assure que l'égalité de traitement sera assurée sur l'ensemble du territoire, qu’un site ministériel recensera les pratiques existantes pour que les enseignements rencontrent plus de succès, et que des évolutions se préparent d'une académie à l'autre pour favoriser ce mouvement. Elle invite les associations à participer à cet effort, étant donné que le ministre n'a pas une démarche de remise en cause des enseignements, bien au contraire, y compris en ZEP. Le ministère incite les rectorats à ne pas travailler à la calculatrice, mais à envisager le mieux qu'ils le peuvent la répartition des moyens. Les représentants des associations évoquent le vocabulaire de gestion utilisé localement pour leur répondre ("pilotage, managérisation, ...") , qui semble difficile à rattacher à ce que Mme Manteau assure. Elle demande aux représentants des associations de s'adresser aux Conseils Régionaux pour bénéficier de moyens.

Troisième temps de l'audience

Madame Manteau évoque le cas de l'enseignement supérieur, et se renseigne sur le nombre d'étudiants en lettres classiques. Les universitaires présents déplorent que si ce nombre ne cesse d'aller en s'amenuisant, c'est bien évidemment une conséquence directe de la diminution des effectifs des élèves qui étudient les langues anciennes dans le second degré : c'est pourquoi les universitaires hellénistes et latinistes ne peuvent que se sentir eux aussi pleinement concernés par les menaces de suppression des enseignements de grec et de latin dans les lycées et collèges .Les représentants des associations évoquent les problèmes d'affectation et de gestion des postes de professeurs de lettres classiques. Madame Manteau répond que la volonté demeure assurée au niveau national de placer des enseignants de lettres classiques sur des postes de lettres classiques. En outre des efforts sont faits pour que l'information sur les formations après le baccalauréat soit effectuée auprès des élèves. Enfin elle assure les représentants des associations que des efforts vont être faits pour la formation professionnelle dans les IUFM, tant auprès des nouveaux professeurs que des plus anciens, pour qu'ils puissent bénéficier, dans le domaine des langues anciennes, d'une formation professionnelle disciplinaire qui pour l’instant leur manque. Les associations font à cette occasion remarquer que les horaires de formation spécifique en langues anciennes dans les IUFM vont de trois heures à douze dans le meilleur des cas, sur deux ans de scolarité professionnelle…

Madame Manteau termine l'audience en évoquant les efforts du ministère pour promouvoir les langues anciennes, par exemple à travers le concours qui apparaît sur le site du ministère et a pour thème "Les héros et conquérants de l'Antiquité" : ce type de concours est prévu sur quatre années, et doit valoriser des projets, pour que les langues anciennes montrent qu'elles sont bien vivantes. Les représentants des associations font remarquer que de nombreux concours, comme le Rallye Latin, existent déjà dans les académies (13 ARELA en proposent actuellement) ou localement, et que le concours du ministère établit une rivalité avec ces concours locaux. Ils saluent l'initiative ministérielle, mais demandent davantage de concertation avec les concours locaux : les professeurs et les élèves ne peuvent s'investir pendant une année scolaire sur deux concours. Il leur paraîtrait intéressant de mettre en synergie ces deux types d’activités.

Un des membres de la délégation informe notre interlocutrice que dans certaines académies les feuilles d’orientation des collégiens de troisième ne comportent pas de mention des deux options facultatives qui leur sont réglementairement offertes en seconde, et font obstacle de ce fait à la poursuite de l’étude des langues anciennes au lycée avec ce statut d’option facultative. Madame Manteau assure qu’elle veillera à la correction de ces feuilles, et qu’elle consultera les associations pour des modifications éventuelles des brochures de l’ONISEP. Au sujet de l’étude conjointe du latin et du grec en troisième, elle précise qu’il s’agira d’une situation dérogatoire dont les moyens seront à réclamer aux rectorats. S’agissant enfin de l’objet précis de l’entrevue, elle informe les associations que le rectorat de Poitiers a été sensibilisé par le ministère à la situation locale des langues anciennes, et que celui de Bordeaux va être contacté dans le même sens.


L'audience se termine sur les félicitations de Madame Manteau auprès des associations qui s'investissent pour l'enseignement et la défense de leurs disciplines.

Compte rendu établi et annexes rédigées conjointement par les membres sussignés de la délégation, le 09/02/2005.

 

 

Notes annexes.

  1. L’enseignement de spécialité.
  2. Certains lycées ont été avertis par leurs rectorats que leur section de spécialité latin ou grec de série littéraire L serait fermée à la rentrée prochaine. Ces annonces semblent relever d’un fâcheux contresens, lié sans doute à une question de vocabulaire.

    En effet, l’expression " enseignement de spécialité " dû aux élèves de terminale L exclusivement ne désigne pas un enseignement effectivement reçu dans un groupe spécifique, mais le type d’épreuve que les élèves latinistes ou hellénistes ont choisi pour leur épreuve terminale. L’élève inscrit en " spécialité latin " ou " spécialité grec " passera une épreuve obligatoire écrite de langue ancienne (coefficient 4), et est distingué à ce titre sur les listings rectoraux.

    Mais aucun de ces élèves (sauf peut-être dans quelques lycées parisiens aux effectifs plus importants) ne reçoit d’heures d’enseignement spécifique à cette épreuve écrite, même si dans les brochures ONISEP un horaire hebdomadaire de trois heures figure en regard de la " spécialité ". Les élèves de " spécialité " sont en effet toujours regroupés sur le même horaire avec les autres élèves latinistes ou hellénistes de leur lycée, de séries L, ES et S, qui ont choisi l’épreuve facultative orale (coefficient 2), affectée elle aussi de trois heures hebdomadaires. Dans les faits, ce ne sont donc pas six heures de la DHG de leur lycée qui sont utilisées, mais seulement trois, par un regroupement bien compréhensible, les épreuves écrite ou orale portant sur le même programme.

    Supprimer une section " spécialité " dans un lycée ne correspond donc pas à un gain d’heures de DHG, mais revient à interdire de fait à des élèves de s’inscrire pour leur baccalauréat à une épreuve de leur choix, alors même que l’enseignement qu’elle devrait sanctionner est dispensé dans l’établissement où ils sont scolarisés. Seul leur type d’inscription à l’épreuve choisie les discrimine, par un nombre souvent faible mais sans rapport avec l’effectif réel du groupe dont ils font partie.

    Cette erreur administrative due à une formule ambiguë devrait trouver facilement correction. Faute de quoi on ne pourrait la considérer que comme une obstruction volontaire à l’apprentissage et à la pratique du latin ou du grec, alors même que le discours ministériel affiche un soutien ferme aux sections de langues anciennes, notamment en lycée, et vient de décider une augmentation du coefficient de l’épreuve orale.

  3. Un objectif supprimé.

    L’objectif n°7 sur 10 du Rapport annexé au projet de loi d’orientation, libellé selon les termes suivants à la page 41 : " 7. La proportion des élèves de lycée étudiant une langue ancienne augmentera de 10% " a disparu du document de 18 fiches adressé le vendredi 4 février (le lendemain de l’entrevue au ministère des associations de langues anciennes) par le ministre M. Fillon à tous les chefs d’établissement. Les objectifs 4, 5 et 6 concernant les langues vivantes sont maintenus par exemple dans la fiche n°6, les autres sont mentionnés à telle ou telle page du document. La page où aurait dû figurer cette ambition, la fiche n°11, ne fait mention que de la majoration du coefficient des langues anciennes au baccalauréat, prévue à partir de la session 2006.

    Faut-il que les associations voient dans la disparition de cet objectif une confirmation de leurs craintes, avivées par des fermetures de section qui se multiplient alors qu’on leur promet " une politique volontariste " ? Ce " volontarisme " n’est-il pas celui d’une éradication ?

    Au cas - hypothèse favorable - où il s’agirait d’un oubli ou d’une erreur de transcription, les associations attendent une correction rapide de cette omission qui ne les rassure pas.