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Manuels de seconde, compléments


Pour compléter la lecture des manuels de lettres concoctés par les éditeurs, voici quelques remarques qui concernent les deux livres publiés par Belin, et un autre par Hachette.

Le premier s'intitule Anthologie, avec pour sous-titre, "Textes et parcours en France et en Europe". 670 pages, valables pour la seconde et pour la première : vive la rentabilité !

Les auteurs cités, dans la majeure partie des cas, n'apparaissent que pour un seul texte. Les textes sont regroupés par chapitres et c'est là qu'on commence à s'amuser. Prenons au XVIe siècle, le chapitre " La recherche humaniste " : 5 textes, parmi lesquels un texte d'Erasme, un texte de More, 2 textes de Rabelais et un poème de Marot. Si, si, j'ai bien écrit Marot, parmi les humanistes. On voit que l'histoire littéraire a du sens pour les auteurs de ce manuel (cf. pp. 62-70).

Un peu plus loin, le même manuel s'attaque, toujours au XVIe siècle, au " renouvellement des formes de la langue ". Le titre, d'abord est honteux, d'autant plus qu'il est question ici de l'Arioste, d'Alemàn, de Louise Labé, de Du Bellay, de Ronsard, etc. Au bout de ce " parcours ", (il n'apparaît réellement que pour un seul texte) les élèves auront lu quel poème de Ronsard : un extrait d' "Éloge de la mort ". 26 vers exactement d'une œuvre fondamentale pour initier un élève à Ronsard.

Au XVIIe siècle, " le courant baroque " se limite littérairement à trois auteurs : Marbeuf, Chassignet et Graciàn ! Adieu Théophile de Viau, Saint Amant ou, puisque cette anthologie se veut européenne, Marino.

Le bouquet (celui que j'ai trouvé), c'est sans doute le chapitre sur " Le récit et ses codes " (pp. 560-579) où sont mis, sur le même pied (je les cite dans l'ordre d'apparition, la chronologie étant une donnée réactionnaire) : Mauriac, Simenon, Montherlant, Daeninckx, Queneau, Sagan, San Antonio, Butor, Azimov, Ellroy et Blueberry ! Il y a, bien sûr, une page intitulée, Roman et nouveau roman (p. 572). On y trouve la photographie bien connue des auteurs, photographiés avec leur éditeur à la porte des éditions de Minuit, mais la légende ne mentionne ni Pinget, ni Claude Mauriac, ni Ollier, ni Lindon et l'on peut lire que " le nouveau roman s'épuisera encore plus vite que les traditions auxquelles il voulait mettre un terme. " C'est sûr, à lire Sagan, on ne peut pas tout comprendre. Mais enfin, Beckett, Pinget, Sarraute (pour les morts) ont mis du temps à s'épuiser, et Simon et Ollier publient encore…


Belin propose un second manuel : Textes, langue, écriture. 29 chapitres, 320 pages valables pour la seconde comme pour la première.

Ce n'est qu'au chapitre 26 que les élèves sont invités à " Lire, interpréter, commenter des textes littéraires " (pp. 267-276) Auparavant, les élèves auront, évidemment, appris à " Travailler avec les technologies modernes ", dès le chapitre 7 (pp.76-82). Et on les aura bien pris pour des ânes.

La première " activité " (ne pas dire exercice !) proposée consiste (p. 78) à confronter " les pages manuscrites [doc A et B, p. 77] à toutes les pages d'écran proposées dans ce chapitre " Et on demande aux élèves : " Que vous offre de particulier la page numérique ? " C'est tout beau ça ! Reportons-nous à la page 77. Le document A est un brouillon, réduit et totalement illisible, des Trois contes et ce document cache en partie le document B, dont la légende nous dit : " France (Bourges) XVe siècle (vers 1649) BNF, Manuscrits occidentaux, Latin 16234, fos 25 vo-26 " (Sic !). Ce document B est également illisible (du latin gothique).

"Que vous offre de particulier la page numérique ? " Elle est lisible, ne nous cassez plus les pieds avec vos vieux bouquins !


Hachette publie Des textes à l'œuvre.

Le volume destiné aux élèves de seconde semble, à première vue, sérieux.

Mais, quand on s'y attarde un peu, on est saisi par la pauvreté du choix. Comme partout ailleurs, les auteurs n'apparaissent, en majorité, que pour un seul texte (Anouilh, Bossuet, Calvino, Char, Claudel, Claudel, Corneille, Desnos, Devos, Diderot, etc. sont traités à la même enseigne), avec une absence totale de hiérarchie. On découvre un poème de Pierre Gamarra, par exemple, mais Apollinaire ou Michaux n'existent pas…

Parmi les auteurs qui ont droit à plus de 2 textes, le palmarès est étonnant : Zola (14 textes), Flaubert (9 textes), Triolet (7 textes), Molière (6 textes), Verlaine et Cocteau (respectivement 5 textes), Corbière, Aragon, Beckett (respectivement 4 textes), Mallarmé, Breton, Lainé (3 textes). Faut-il commenter ? Ce choix est honteux, il fait rimer pédagogie et démagogie. Il n'y a aucun texte du Moyen-Âge, il n'y a, pour le XVIe siècle que deux textes de Rabelais, deux textes de Montaigne et un poème de Scève. Les seules femmes représentées dans cette anthologie sont Triolet, N. Sarraute et J. de Romilly… Et, pour les absents, citons en plus de ceux mentionnés ou sous entendus plus haut : Barbey d'Aurevilly, Camus, Cendrars, Chateaubriand, Chénier, Fontenelle, Gide, Jouve, Lamartine, Mme de Lafayette, La Rochefoucauld, Lautréamont, Perec, Simon, Valéry… et même Voltaire ! Quand on confronte le nom de ces absents à certains " auteurs " retenus par les responsables de ce manuel, on se demande si on marche sur la tête : Christie, Debray, Duranty, les Goncourt, Lainé, Pons, Wurmser…

Mais si le scandale s'arrêtait là, on serait presque heureux. Le livre est prétentieux. Il se veut, ainsi, ouvert aux analyses sémiotiques. La " Séquence 20 " s'appelle ainsi : " Argumenter : l'Autre " (pp. 352-369). (Ce A majuscule est-il une référence au grand autre lacanien ? !). La deuxième partie de cette séquence propose l'analyse de " Deux vignettes de camembert ". On se dit que Barthes va venir par là ; pas du tout ! Selon un procédé qui consiste à assimiler un personnage - que les auteurs appellent le " Noir " (avec une majuscule encore, non ! non ! ils ne sont pas racistes) - à "Y'a bon", les lecteurs sont renvoyés sur internet, c'est-à-dire sur un site publicitaire consacré à Banania : vive le libéralisme !

Alexis Pelletier, Lycée de la Vallée du Cailly, Déville-lès-Rouen (76)



D'autres remarques sur le Hachette, Des textes à l'œuvre.

- d'abord le choix des 2 premières œuvres : une nouvelle de Vercors et Roses à crédit d'E. Triolet ; je n'ai rien contre ces œuvres mais la première eût probablement mieux convenu à des collégiens. Les deux ont en commun le choix d'une langue volontairement simple, dépouillée, proche de l'oral (" comment que tu les vois ? "), que les élèves, dépourvus d 'éléments de comparaison, n'auront que trop tendance à prendre pour LA langue des écrivains. Il est vrai qu'ils ont eux-mêmes été promus écrivains... J'ajoute le "travail d'écriture" : " racontez la même histoire autrement, en écrivant un article paru dans un journal clandestin de 1943 ".
- p.18, j'apprends avec bonheur qu'une nouvelle " donne d'abord au lecteur le plaisir de " consommer " (entre guillemets) rapidement une histoire. " Entre 2 MacDo.
- Sur Roses à crédit, p.20 : le roman montre " comment un roman peut s'inscrire dans un débat et prendre position. " ce qui est la nouvelle vocation de la littérature boissinotée. Le choix du roman se justifie par son " accessibilité " : " qu'est-ce que c'est que ce mec ? (...) Ta gueule.(...) Amenez-vous, vous allez attraper la crève ! ". Je m'étonne qu'on n'ait pas carrément et exclusivement donné des extraits de San Antonio, par souci d'authenticité. Précisons que je sais apprécier à sa juste valeur F. Dard...
- l'extrait " le jeu télévisé " p.30 me rappelle étrangement un texte des Annales 0 du brevet. Question : " Faites oralement la critique ou l'éloge de jeux télévisés ou d'émissions de variétés d'aujourd'hui. Vous vous fonderez sur des exemples précis ". Comme quoi les élèves doivent avoir une bonne culture générale.
- p. 36 :un article du Monde : " les sénateurs au secours des ménages surendettés ". Question : "Quels sont dans ce texte les éléments qui trouvent une illustration directe dans le roman ? "ou de la littérature comme support documentaire aux " sujets d'actualités ". Autant préparer les enfants à ce qui les attend. En guise de support à la réflexion et pour ne pas être accusé d'incitation à la consommation , une belle publicité pour les cuisinières de 1959. L'image ne doit-elle pas faciliter la compréhension des textes littéraires ? L'ensemble des textes prouve sans ambiguïté que l'écrivain est un " témoin de son temps ". Point.
- p.84, un maigre extrait de Racine, un monologue de " Hermione seule ", débutant par " Où suis-je ? Qu'ai-je fait ? Que dois-je faire encore ? " Question : " A qui l'héroïne s'adresse-t-elle ? Justifiez votre réponse. Comment Hermione se désigne-t-elle elle-même ? " . Au moins 3 points au bac de 2003.
- p. 85 : le charme de l'alexandrin racinien : " transposez la situation dans le monde contemporain et récrivez, en prose (ouf !), à la 1ère personne, le monologue d'Hermione. " La suite vaut son pesant d'or : tout en conservant les motivations du personnage, vous pouvez, si vous le souhaitez recourir à la tonalité comique et à un registre de langue peu soutenu (ouf !!!!!!). Ah ! Rien ne vaut une traduction d'une tragédie de Racine en comique troupier !
- pour se reposer p. 119, un exercice de réécriture de Marivaux avec une concordance des temps du style indirect.
- un éclair de lucidité p.128 : " Récrivez une dizaine de lignes de cette page avec le point de vue de Quasimodo. Que perd-on dans cette récriture ? " A la Robert Hossein, la reconstitution des procès avec une fin américaine.
- p.139 , à propos de Madame Bovary : " pour illustrer l'immoralité de ce passage, l'avocat impérial a cité ce passage. Partagez-vous son point de vue ? " Qu'attend-on de ces enfants fascinés par "Basic Instinct" ? Ils ne comprendront même pas la question. Ou à propos de L'Assommoir, " Certains républicains ont accusé Zola de mépriser le peuple. Trouvez-vous ce jugement fondé ? Vous pouvez organiser un débat en classe autour de cette question". "Remarquez, moi, j'adore les débats : rien dans les mains, rien dans les poches et rien à corriger". Petite remarque d'un grand mauvais esprit : Madame Bovary, c'est génial pour " éloge ou blâme " et Roses à crédit pour les débats sur la société de consommation. D'ailleurs, sorti des œuvres réalistes et naturalistes, des romans à message, à thèse ou à vocation documentaire, il n'y a rien de littéraire dans ce manuel de littérature.
- ne nous refusons rien : p.163 : " Imaginez une conversation entre Flaubert et Zola (vos livres de chevet) sur les sujets évoqués dans cet extrait. ". Bientôt sur TF1, un reality show : Aristote et Platon boivent un thé ensemble et commentent leur lecture des "Nuits Fauves". Pour ou contre l'amour physique ? Vous pouvez envoyer vos messages au standard dès à présent.
-p. 180 : " Sur le sujet de votre choix, écrivez un plaidoyer en utilisant les mêmes procédés d'écriture et de composition que Zola."
- p. 219 : " En vous efforçant d'imiter le style de Proust, écrivez à votre tour un poème en prose sur le thème de la mer... ". Personnellement, j'en suis toujours à m'efforcer...
- p.221 : " En reprenant les mêmes éléments que Supervielle, récrivez " l'Escale portugaise " sous forme de poème en prose ".
Dans ce manuel, il n'y a aucun repère biographique, historique, littéraire autre que ponctuel. Molière n'a écrit que L'école des femmes , Diderot La Religieuse , Flaubert Madame Bovary . Une belle part est faite aux éditeurs et aux médias, une page est consacrée aux éditions Harlequin mais rien sur La Pléiade, Montaigne... D'ailleurs, le XVIe et le XVIIe sont quasiment inexistants si l'on excepte quelques textes étiques destinés à parer aux reproches ; même les poètes romantiques, V. Hugo, n'ont pas droit de cité.

Corinne Jésion. Lycée Calvin, Noyon (O2).

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