Faisez comme vous disez, les enfants, ça ira tout seul

Nouveaux programmes. L’exemple de l'école primaire.


Cet article vient de sortir dans "Les poings sur les i", bulletin régional n°1 des militants Ecole Emancipée de l'académie de Montpellier (janvier 2002). Une version légèrement plus courte était parue sur le bulletin "Voix active" du SNUipp-FSU de l'Hérault du mois de septembre 2001, avant le semblant de consultation sur les nouveaux programmes. Richard ABAUZIT.

Lycées (et notamment LEP), collèges, écoles primaires, une même logique est à l’œuvre dans les réformes de programmes, celle préconisée par tous les rapports de l’OCDE et de l’Union européenne inspirés par l’ERT (Table Ronde des industriels européens) : glissement des savoirs vers les seules " compétences " utilisables par les patrons. A cet effet, de " nouvelles " pratiques pédagogiques vantant les mérites du " transversal ", du ludique, du " sens " et de l’ " auto-construction " des savoirs sont détournées pour habiller un recul des exigences en matière de savoirs rigoureux au profit d’exigences comportementales. Cela explique pour partie l’impressionnante absence de critique de fond de ces programmes de la part de certains adeptes de Célestin Freinet .

Regardons ce qu’il en est pour le premier maillon, l’école primaire, où de nouveaux programmes viennent d’être élaborés :

Recherche du sens, autonomie, la maîtrise du langage au service de disciplines trop souvent laissées en friche, qui ne souscrirait aux axes de ces programmes ?

Nonobstant, au-delà de quelques points (concessions ?) positifs, ces nouveaux programmes marquent un nouveau recul, dont on veut mettre ici en lumière différentes facettes.

Baisse des exigences :

Utilitarisme :

Il est justifié par l’intérêt supposé des élèves et la recherche du sens immédiatement accessible. Ces nouveaux programmes sont parcourus par un utilitarisme étroit qui renforce un rapport au savoir générateur d’échec scolaire, quand il ne le réduit pas à une fonction commerciale.

Exemples : enseignement des langues étrangères ou régionales réduites aux situations ordinaires de communication (tourisme de base, lecture des annonces, affiches et catalogues !) sans oublier le " folklore " des pays concernés (qui dira les bienfaits commerciaux d’Halloween ?) ; utilisation des correcteurs orthographiques ; mathématiques axées sur la résolution de problèmes de la " vie de la classe " et de la " vie courante ", utilisation des calculatrices ; réalisations artistiques étonnantes (catalogue d’exposition, programme d’un concert, guide pour la visite d’un monument, affiche), la " vidéo ", l’ " architecture " et le " design " comme objectifs de l’enseignement des arts dits " visuels " ; en sciences, il deviendra difficile de ne pas " consommer " les expériences de " la Main à la pâte ", ces kits pédagogiques dont les aspects intéressants cachent de moins en moins une opération essentiellement commerciale..

Microsoft for ever ! :

Les deux reculs précédents sont aggravés et en partie rendus possibles par le recours massif à l’informatique imposé par l’instauration d’un brevet en fin d’école élémentaire et la référence permanente à son utilisation dans les programmes (" Au cycle 3, comme dans les cycles précédents, les technologies de l’information et de la communication sont des instruments ordinaires du travail quotidien ").

Pour chaque partie du programme, les experts se sont évertués à trouver des utilisations de logiciels ou de la " toile ". Quelquefois tirées par les cheveux (par exemple dans le domaine artistique, " logiciels d’aide à la création visuelle ou sonore ; montage ; utilisation esthétique ou documentaire de l’Internet… ").

Il n’est à aucun moment fait état des possibilités d’utilisation de logiciels libres et faute de décision du Ministère en ce sens, nous aurons Microsoft partout.

Propagande :

Tout savoir sans apprendre :

On diminue pour l’essentiel les exigences en matière de savoirs et, ici et là, on assigne aux élèves des compétences qui sont, de ce fait, inaccessibles. Exemples :

  • Ainsi supprime-t-on le passé simple (ils ne vécurent plus très heureux et ils n’eurent plus beaucoup d’enfants ?), mais les élèves, ô miracle, devront "comprendre correctement la signification des divers emplois des temps verbaux du passé " et " utiliser les temps verbaux du passé dans une narration (en particulier en utilisant à bon escient l’opposition entre imparfait et passé simple) ".
  • autre exemple, ne pas mémoriser les conjugaisons, mais savoir les trouver à partir des règles d’engendrement (les tables de multiplication peuvent également se trouver à partir de l’addition, faut-il supprimer leur mémorisation ?). Et puis, cette fois en toute logique, comme il faut supprimer les exceptions à ces règles, on renvoie au collège l’étude des précieux verbes irréguliers (en attendant, faisez attention à ce que vous disez)
  • lecture de dix livres minimum par an...

  • L’autoritarisme pédagogique :

    La liberté pédagogique des enseignants est étroitement surveillée. En effet, ces nouveaux programmes ne prétendent pas seulement dire ce que nous devrons enseigner (pardon, ce que les apprenants devront s’apprendre), mais aussi comment. Exemples :

    La sauce pédagogique :

    Le parti pris pédagogique est celui qui consiste à opposer intelligence des choses et mémorisation, alors que cette dernière est tout simplement une des conditions essentielles de celle-là. Dès lors le savoir sera dans les machines qu’il conviendra impérativement de savoir consulter et…consommer : pour l’orthographe, des correcteurs orthographiques, pour le calcul, des calculettes, et pour le savoir l’Internet !


    Conclusion :

    Ces nouveaux programmes, bien qu’affirmant le contraire, vont dans le sens d’un renforcement des différences entre élèves. La diminution des savoirs rigoureux requis et l’utilitarisme sont la marque d’un mépris vis-à-vis des élèves qui n’ont pas reçu le savoir scolaire avec le biberon.


    Richard ABAUZIT